Les autels de la peur
république. Agréez l’assurance de notre affection civique. Nous sommes, avec fraternité, vos concitoyens.
« Gay » Vernon, Mounier-Dupré. »
Ils écrivirent également un mot bref pour aviser les Jacobins. Les frères et amis devaient surveiller le Département et le District, se défier au plus haut point de la députation, dont la plus grande partie tournait au girondisme.
Il fallait absolument empêcher Limoges de suivre le funeste exemple donné par Marseille, par Bordeaux qui, à la voix de ses députés, se soulevait, arrêtait les commissaires de la Convention, menaçait de prendre les armes contre elle. Et Lyon, un moment apaisé par Legendre, se rebellait de nouveau avec une violence pire. Claude en fut averti, le lendemain, au pavillon de l’Égalité. C’était le 3o, dernier jeudi de mai. Dans Paris aux rues tranquilles, l’agitation ne se sentait qu’aux Tuileries, à l’Évêché où toutes les sections, à présent, avaient envoyé leurs commissaires munis de pleins pouvoirs pour former « l’union républicaine ». Ils s’étaient alors déclarés en insurrection « afin de défendre la chose publique contre la faction aristocratique et oppressive de la liberté ».
Cette faction, forte encore au Comité de Sûreté générale, avait des intelligences dans le sein même du Comité de Salut public, Claude ne l’ignorait pas. Il ne pouvait avoir aucune confiance dans ses collègues. On s’épiait mutuellement. Il se défiait surtout de Barère, et aussi de Cambon qui gardait des liaisons brissotines, de Delmas, porté vers la Montagne par le besoin de mesures énergiques, mais peu jacobin, du trop politique Treilhard, et même de Robert Lindet, rapporteur de l’accusation contre Louis XVI, mais guère sans-culotte lui non plus. Il savait enfin que le Comité de Sûreté générale entretenait des espions au pavillon de l’Égalité. Seulement, on n’était pas sans en avoir soi-même quelques-uns aux endroits où il fallait. En particulier, un certain Thomas Maillard, homonyme du grand Maillard (Stanislas) à présent très malade, et un nommé Héron, grâce auquel, dans la relevée, Claude fut prévenu que, le matin même, sur l’invitation de l’hôtel de Brionne, Treilhard, Delmas, Cambon et Barère avaient ordonné au ministre Garat de faire les investigations les plus actives pour découvrir si Danton, Robespierre et Marat ne formaient pas un conciliabule secret dont les Six, à l’Évêché, seraient les agents d’exécution. On avait profité d’un moment où Delacroix, Danton et lui-même, Claude, étaient absents.
« Eh bien, demanda Claude, découvrira-t-on quelque chose ?
— Non. Si ce conciliabule existait, je l’aurais su aussitôt. Toutefois, l’ingénieur Dufourny est un ami de Danton. »
Claude ne pensait pas que les trois hommes eussent médité l’insurrection. Marat y poussait beaucoup moins qu’Hébert dans son Père Duchesne. Danton et Robespierre l’acceptaient comme une nécessite, pour en finir avec l’obstination paralysante de la Gironde et ses menaces de guerre civile. En vérité, le mouvement se présentait avec beaucoup de calme. Il apparaissait que si l’on se disposait à violer la loi, ce serait dans le plus grand ordre. C’est ce que déclarèrent Pache et le procureur-syndic du Département : Lhuillier, mandés par le Comité de Salut public. Lhuillier assura qu’il s’agissait non pas d’une insurrection physique mais toute morale ; les commissaires s’étaient engagés de la façon la plus expresse à faire respecter les propriétés et les personnes. Le maire, fin, un peu mou comme ses prédécesseurs, au demeurant républicain sincère, ne voyait pas d’un très bon œil cette entreprise à laquelle, néanmoins, il ne se reconnaissait pas le droit de s’opposer, car elle était entièrement pacifique, voulue par le peuple entier. Les quarante-huit sections, dit-il, réunies depuis midi dans leurs assemblées, avaient elles-mêmes, à une énorme majorité, voté l’insurrection en ratifiant le projet de leurs commissaires. Celui-ci se bornait à mettre sur pied toute la garde nationale, à fermer les barrières, à présenter une adresse à la Convention. Le tocsin sonnerait dès ce soir.
En attendant, des Parisiens auxquels les démêlés de la Commune avec la Convention importaient fort peu, et qui ne s’étaient nullement réunis dans les assemblées de section, célébraient la Fête-Dieu par une
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