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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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bordée par le parapet du quai, on retrouva les autres compagnies du bataillon, certaines à fusils, une de grenadiers et une de canonniers. Le lieutenant-colonel Sénard, vieux gendarme réformé, dit qu’il ignorait pourquoi on les mettait sur pied, mais que cela finirait bien par se savoir. « En attendant, ajouta-t-il, vous aurez toujours du pain sans faire la queue. » Effectivement, peu après, les boules de munition furent distribuées. On les enfila, qui sur sa baïonnette, qui sur son fer de lance, et l’on attendit. Après le lever trop rose du soleil, le temps tournait à l’aigre, au gris. Il ne pleuvrait pas, car le vent venait de la Cité, du Pont-au-Change. Il pinçait.
    « Tu es blanc comme pipe neuve, Nicolas ! lui dit le charcutier-lieutenant Hacqueville.
    — Trouves-tu donc qu’il fasse chaud, toi ? J’attraperai le mal de mort, pour sûr. Si j’avais su, j’aurais mis un pantalon plus épais.
    — Eh bien, cours donc en changer. Je le prends sur moi, mais fais diligence. »
    Quand Nicolas revint, plus de bataillon. Il n’était pas bien loin, toutefois. Il avait remonté le quai, passé le Pont-Neuf. On l’apercevait au carrefour des Trois-Maries, vers lequel descendaient par le quai de la Ferraille des troupes du faubourg Saint-Antoine. En courant pour rejoindre sa compagnie, Nicolas vit, sur le terre-plein du pont, au pied du socle vide où une grande bannière tricolore remplaçait la statue d’Henri IV, trois officiers à cheval qui se disputaient avec le chef du poste, devant les canons d’alarme. « Morbleu, il y va de ma tête, protestait-il. Je ne connais point votre commandant-général. Il me faut un décret. » Le petit mercier n’en entendit pas davantage. Lorsque, essoufflé, il eut repris son rang, il aperçut les trois cavaliers galopant par le quai vers l’Hôtel de ville.
    « Et où allons-nous comme ça ? s’enquit Nicolas. Sait-on quelque chose ?
    — Oui bien, mon ami, lui répondirent ses voisins. Il y a des coquins de bataillons royalistes qui se sont barricadés dans le jardin Égalité après avoir pris la cocarde blanche. Nous marchons contre eux avec les bons sans-culottes de Saint-Antoine. »
    Cette nouvelle ne réjouit en aucune façon le petit marchand, d’autant moins qu’en débouchant sur la place du ci-devant Palais-Royal il avisa, sous les passages dont on avait fermé les grilles, des canons pointés et, derrière, dans le jardin, les culottes blanches, les habits bleus, les chapeaux, les nombreux fusils des compagnies bourgeoises. Il se remit à trembler. Ce n’était plus de froid. Lui aussi, il aurait pu s’exclamer : Illa suprema dies ! Comme il ne savait pas le latin, il se bornait à hoqueter en lui-même : « Pour le coup, tu es foutu, Nicolas ! » Ce qui, à tout prendre, n’était pas une si mauvaise traduction. Néanmoins, la terreur ne lui faisait point perdre ses facultés habituelles d’observateur, et soudain il poussa un cri : « Eh ! Haqueville, vois donc ! Ces royalistes, ils ont le drapeau tricolore ! »
    Au même instant, sur le Pont-Neuf, Gabrielle Dubon, en train de faire sa toilette, se mettait elle aussi à crier : « Claudine ! Ouvre vite, vite ! On va tirer. » Elle-même, remontant hâtivement sa chemise, se précipita pour ouvrir sa fenêtre. Sur le trottoir du pont, le tambour battait en courts roulements successifs, pour avertir les habitants des deux maisons formant le goulet de la place ci-devant Dauphine. Fenêtres fermées, la détonation des pièces de 24 eût pulvérisé les vitres.
    Les prétendus bataillons royalistes, enfermés dans le jardin du Palais-Égalité, n’étaient autres que ceux des Champs-Élysées et de la Butte-des-Moulins située derrière Saint-Roch. Rétifs à l’insurrection, ils s’étaient retranchés là pour se défendre. On leur répétait depuis la veille que les troupes sans-culottes voulaient les anéantir. Quand la rive gauche et le faubourg eurent constaté que leurs adversaires portaient comme eux la cocarde nationale et se rangeaient sous le drapeau commun, à bandes, croix, coins ou quartiers bleu, blanc, rouge, loin d’attaquer, on acclama ces frères républicains. Jamais Nicolas, ni ses voisins, du reste, n’avaient crié de si bon cœur. « Vive la Butte ! Vive les Champs-Élysées ! » braillaient-ils. Là-dessus, les canons d’alarme se mirent à tonner. Comme on ne pouvait, sous peine de mort, les tirer sans un décret de la

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