Les autels de la peur
C’était le valet du Comité.
Tandis que l’on expédiait les affaires, Danton survint. Les huissiers avaient allumé les lampes, la nuit se fermait. « Quels pauvres ânes, ces Brissotins ! s’exclama Danton en se laissant choir dans son fauteuil. Ils sont partis triomphants, pour aller fêter leur victoire chez Valazé, j’imagine, ou à leur Réunion. La victoire de leur fermeté. Alors Séchelles a pris la place d’Isnard et nous avons voté. La commission des Douze est dissoute, sa conduite livrée à l’examen du Comité de Sûreté générale, les détenus élargis.
— Bah ! répliqua Claude, le Ventre (c’était la Plaine) a suivi la Montagne parce qu’il était seul avec vous, demain il se dédira. Veux-tu gager qu’il reniera son vote ? On n’en finira pas de cette façon.
— Je sais, mon bon, je sais. Eh bien, s’il le faut, nous passerons en énergie les hommes d’État. »
La nouvelle, propagée rapidement, répandait dans le peuple une grande satisfaction, dans tout Paris un apaisement. Mais Claude voyait juste, et n’y avait d’ailleurs guère de mérite : la logique des opinions faisait à la droite un devoir de contre-attaquer. Dès le matin suivant, Lanjuinais, qui n’était pourtant pas brissotin, s’en chargea. Comme le montagnard Osselin, à l’ouverture de la séance, demandait la lecture et la rédaction définitive du décret pris la veille au soir, afin que l’on pût libérer les détenus, Lanjuinais, volcanique d’indignation, s’écria :
« Ce décret est nul. Il a été rendu illégalement, hors la séance. » Et, s’élançant à la tribune : « Dans toute la France, plus de cinquante mille citoyens ont été enfermés par vos représentants en mission, on a fait en un mois plus d’arrestations arbitraires qu’en un siècle sous l’ancien régime, et vous vous plaignez de voir emprisonnés deux ou trois hommes qui prêchent l’anarchie et le meurtre, à deux sous la feuille ! Dimanche dernier, dans la Jacobinière on a proposé de faire un massacre dans Paris. On recommence la même délibération à l’Évêché, votre commission vous en fournit les preuves, et vous les repoussez ! Vous protégez les hommes de sang ! » Criant à pleine gorge pour couvrir le tumulte provoqué par ces paroles, il lança au Centre : « Hier soir, vous n’étiez pas libres, vous étiez maîtrisés par les prédicateurs du meurtre. »
Dans le vacarme, on entendit la voix de Legendre : « Je déclare que si Lanjuinais continue à mentir, je vais le jeter en bas de la tribune. »
Enfin, à une majorité de cinquante-six voix, le décret supprimant la commission des Douze fut rapporté. En revanche, à l’unanimité, on confirma l’élargissement provisoire d’Hébert, Dobsen et Varlet. « Vous avez accompli un acte de justice, proclama Danton, mais si la commission que vous venez de maintenir continue ses agissements tyranniques, alors je vous le déclare, après avoir prouvé que nous passons nos ennemis en prudence et en sagesse, nous prouverons que nous les passons aussi en audace et en vigueur révolutionnaire. »
Le matin, en traversant le Carrousel, Claude avait vu sur la place et dans l’ancienne cour des Suisses, devant les galeries par où entrait le public, nombre de citoyens et de citoyennes manifestant leur satisfaction. Il n’en allait plus de même, à présent. La libération de Varlet, de Dobsen, d’Hébert qui recevait des couronnes au Conseil général de la Commune, ne rachetait pas, aux yeux des sans-culottes, le maintien de la commission.
Au pavillon de Flore, une mauvaise nouvelle attendait les membres du Comité de Salut public : l’armée du Nord avait été repoussée entre Valenciennes et Cambrai, les deux places étaient découvertes. Claude eût pu ironiser sur les talents du fameux Custine. Il en éprouvait d’autant moins l’envie que, dans la correspondance avec les représentants en mission, on venait de lui remettre une lettre tout aussi désastreuse. Il en donna lecture : les commissaires en Vendée annonçaient la défaite des troupes républicaines, complètement battues devant Fontenay-le-Comte (Fontenay-le-Peuple) par le royaliste Lescure qui s’était emparé de la ville. Il ne se trouvait plus qu’à sept lieues de Niort où le comité de défense tenait son siège et son camp.
« Nom de Dieu ! beugla Danton en abattant son poing massif sur le tapis vert, qu’est-ce qu’ils foutent donc,
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