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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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heures passaient, la relevée s’avançait. Pendant ce temps, cent mille hommes en armes, laissant la Convention et la Commune s’arranger entre elles, se promenaient par la ville le plus paisiblement du monde en chantant des airs patriotiques. Vergniaud, sortit un instant, revint et, obtenant la parole, dit quel extraordinaire spectacle offraient les rues. « Il suffit de le voir, proclama-t-il, pour décréter que, par son calme, son tranquille amour de la liberté, Paris, en ce jour, a bien mérité de la patrie. » Stupéfaites d’entendre parler ainsi l’orateur des Brissotins, les tribunes l’en applaudirent d’autant plus chaleureusement. Les acclamations succédèrent aux huées. Toujours fidèle au rôle qui lui réussissait si bien, Barère profita de cet apaisement pour proposer un moyen terme : supprimer les Douze, mais placer la force armée sous le contrôle de la Convention.
    « Et si on supprimait Barère ? murmura Claude à Maximilien. Je le juge plus néfaste encore que les Douze. Il en a proposé la création, il en propose la suppression. Qu’est-ce que cet individu ne proposera pas ? »
    Tandis qu’il développait complaisamment son projet, une nouvelle délégation, conduite par le procureur-syndic Lhuillier en personne, demandait à être entendue au nom du Département associé à la Commune. On reçut les pétitionnaires. Lhuillier ne mâcha point ses mots. « Les mêmes hommes, dit-il, qui ont voulu perdre Paris dans l’opinion publique sont les fauteurs de tous les troubles. Ce sont eux les coupables des massacres de la Vendée, ce sont eux qui décrient les autorités parisiennes, eux qui cherchent à égarer le peuple pour avoir motif de s’en plaindre. Ce sont eux qui n’hésitent pas à diviser la France afin d’assurer leur pouvoir, qui entretiennent les haines dans votre sein et vous retardent ainsi de donner à la patrie la constitution républicaine qu’elle a achetée par tant de sacrifices. »
    Pour la plupart, ces accusations étaient cruellement justes, au moins dans leur fond. Claude, avec toute la Montagne, applaudit le procureur-syndic du Département. Il continua en dénonçant les projets criminels des Girondins fédéralistes qui soulevaient Bordeaux, Marseille, Lyon, au mépris de l’unité républicaine, qui poussaient les départements à marcher sur la capitale. « Voilà le seul, le vrai complot. Paris en demande justice. Justice contre Isnard pour ses paroles monstrueuses où nous avons entendu l’écho des menaces de Brunswick, justice contre les Douze, contre les ministres infidèles : Roland, Lebrun, Clavière, et contre tous les diviseurs tels que Brissot, Guadet, Gensonné, Buzot, Barbaroux et autres. »
    Roland, le Comité révolutionnaire avait déjà envoyé des hommes pour l’arrêter. Depuis que sa femme et lui avaient quitté le ministère, ils habitaient rue de La Harpe, en face de l’église Saint-Cosme. Une maison d’un seul étage, prise entre deux plus grandes, avec boutique sur le côté du rez-de-chaussée. Les sectionnaires se présentèrent à cinq heures et demie et sommèrent l’ancien ministre de les suivre, en lui montrant un mandat du Conseil révolutionnaire de la Commune. « Je ne connais pas ce pouvoir, répondit-il. Je n’y obéirai pas. Si vous usez de la violence, je ne pourrai vous opposer que la résistance d’un homme de mon âge, mais je protesterai jusqu’au dernier soupir. » Il avait à présent cinquante-neuf ans et en paraissait soixante-dix. Autant que sa chute politique, un drame intime venait de le briser : sa femme lui avait avoué qu’elle aimait Buzot.
    Le chef des sectionnaires dit qu’il n’avait pas ordre d’employer la force. « J’en vais référer à la Commune, ajouta-t-il. Mes collègues resteront ici en attendant mon retour. » Manon résolut aussitôt de recourir à la Convention. Elle rédigea rapidement une adresse, avec l’espoir de la présenter elle-même à la barre, puis, jetant sur ses épaules un châle noir dont elle s’enveloppa, elle sortit, trouva un fiacre au coin de la rue des Cordeliers et se fit mener au Carrousel, moins vite qu’elle ne l’aurait voulu. Une fois passé la Seine, toutes les rues étaient encombrées de troupes bourgeoises et populaires déambulantes et de curieux. Elle traversa la cour des Tuileries au milieu d’hommes armés qui ne la regardèrent point, mais fut arrêtée par les sentinelles à l’entrée de la salle des

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