Les autels de la peur
pétitionnaires. Usant alors du langage sans-culotte : « Eh mais, citoyens ! s’exclama-t-elle, dans ce jour de salut pour la patrie, vous ne savez pas de quelle importance peuvent être les notes que j’ai à faire passer au président ! » On la laissa entrer. Dans la salle, elle demanda un huissier. « Attendez qu’il en sorte un », lui répondirent les invalides chargés de la police dans le Palais national. Au bout d’un moment, une porte s’ouvrit sur une rumeur houleuse. Un contrôleur de la salle parut, en habit noir, avec la chaîne dorée. C’était un certain Roze, la jeune femme l’avait connu au Manège. Elle lui expliqua ce qui l’amenait. Il prit l’adresse pour la remettre au bureau et promit d’en presser la lecture. Il rentra dans la salle juste au moment où Lhuillier accusait Roland et les autres girondistes.
Pour Claude et ses amis, c’était là toute la question. On y venait enfin, après une journée presque entière d’oiseuses agitations. La gauche, les gradins, les tribunes applaudirent. La droite, déconcertée par cet assaut à découvert, se taisait. Comme l’évêque Grégoire, remplaçant Mallarmé au fauteuil, répondait élogieusement à Lhuillier et appelait la députation aux honneurs de la séance, une petite foule populaire se répandit dans la salle avec les délégués. Les Brissotins s’écrièrent aussitôt que l’on était envahis. Claude demanda une délibération immédiate sur l’adresse des autorités parisiennes : « Nous ne somme pas libres », répliqua la droite.
« La Convention nationale, s’écria Vergniaud, ne peut délibérer dans l’état où elle se trouve. Allons nous joindre à la force armée pour y chercher protection contre la violence qui nous est faite. » Sur quoi, il s’élança vers la salle de la Liberté, suivi par presque tous les girondistes. « Bon voyage ! marmonna Legendre. Courez vite et longtemps. » Le centre ne bougeait pas. « Je demande l’appel nominal, lança Couthon. On connaîtra ceux qui désertent leur poste.
— Laisse donc », dit Robespierre. Il se dirigea vers la tribune. La droite, abandonnée de tous, rentrait, ridicule.
« Ce n’est point par des mesures insignifiantes, déclara Maximilien, qu’on sauvera la patrie. Il ne suffit pas de supprimer la commission des Douze, et surtout il ne faut pas, comme le propose Barère, remettre la force armée entre les mains de ceux que le peuple accuse, de ceux qui s’en serviraient contre lui. Il faut prendre les mesures réclamées par les pétitionnaires. Il faut…»
Brusquement, la parole lui manqua. Malaise ? La veille, aux Jacobins, il avait à peine la force de se faire entendre. Ou hésitation au dernier moment ? Son frère Augustin, Claude, Panis s’élançaient déjà pour le soutenir.
« Concluez donc ! » lui cria impatiemment Vergniaud. De violents murmures accueillirent cette apostrophe. Mais Robespierre, se raffermissant et avec un regard de dédain à la Gironde :
« Oui, je vais conclure ! Et contre vous ! Contre vous tous qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à l’échafaud ceux qui l’ont faite. Contre vous qui n’avez cessé de provoquer à la destruction de Paris. Contre vous qui avez voulu sauver le tyran, contre vous qui avez conspiré avec Dumouriez, contre vous dont les vengeances ont suscité cette insurrection dont vous voulez faire un crime à vos victimes. Ma conclusion, c’est le décret d’accusation contre les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires. »
Dans leur salle, Manon Roland attendait toujours, drapée dans son châle noir. Elle était là depuis plus d’une heure, irritée, impatiente, écoutant les bruits. Elle avait à plusieurs reprises entendu un grand vacarme. L’explosion des bravos par lesquels le public et la Montagne saluaient la conclusion de Robespierre arriva jusqu’à elle lorsque Roze, l’huissier, revint.
« Eh bien ? questionna-t-elle.
— Rien encore. Il règne dans l’Assemblée un désordre impossible à peindre. La gauche demande l’arrestation de vingt-deux députés de la droite. Je viens d’aider Rabaut-Saint-Etienne à sortir en cachette, il a été menacé. Plusieurs autres s’échappent aussi. On ne sait à quoi s’attendre.
— Qui préside en ce moment ?
— Grégoire.
— Ah ! ma lettre ne sera pas lue ! Appelez-moi un député… Vergniaud, tenez.
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