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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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sans-culottes. Tout s’était passé à merveille, lui dirent-ils, réjouis. « Ils se sont embrassés et l’on a chanté l’hymne des Marseillais, là, sous l’arbre de la liberté.
    — À la bonne heure ! fit Manon en se mettant dans le ton. Le côté droit s’est donc apaisé ?
    — Parbleu ! il lui fallait bien se rendre à la raison.
    — Et la commission des Douze ?
    — Elle est foutue dans le fossé.
    — Ah bah ! Et ces vingt-deux ? demanda la jeune femme, le cœur serré.
    — La Commune les fera saisir.
    — Bon ! mais le peut-elle ?
    — Jarniguié ! est-ce qu’elle n’est pas souveraine ? Il faut bien qu’elle le soit pour redresser les bougres de traîtres et soutenir la République.
    — Mais les départements seront-ils bien aises de voir leurs représentants arrêtés ainsi ?
    — Que croyez-vous, citoyenne ? Les Parisiens ne font rien que d’accord avec les départements. Ils l’ont dit à la Convention.
    — Cela n’est pas trop sûr, répliqua la raisonneuse Manon. (Elle eût discuté avec le Diable en enfer.) Pour savoir le vœu de la province, il aurait fallu les assemblées primaires.
    — Eh ! en a-t-il fallu, au 10 août ! Les départements n’ont-ils pas approuvé Paris ! Ils feront encore de même. Paris les sauve.
    — Ce pourrait bien être Paris qui se perd », riposta-t-elle en retraversant la cour pour regagner la voiture de place dans laquelle elle était venue et qui attendait sur le Carrousel illuminé, vide.
    « Est-ce à vous, ce chien ? » demanda le cocher.
    Elle s’aperçut alors que l’animal, un joli petit griffon, la suivait. Il avait dû s’égarer au milieu des mouvements de ce jour.
    « Non, je ne le connais pas.
    — Pauvre bête ! Je le ramènerais bien à mon petit garçon, il en aurait soin.
    — Eh bien, attrapez-le et donnez-le-moi dans la voiture. Je vais vous le garder. »
    Elle le prit sur ses genoux, tout jappant de plaisir, tandis que l’automédon au cœur sensible regrimpait sur son siège. Derrière le Louvre, Manon fit arrêter pour monter chez un ami de son mari, Pasquier, afin de lui demander assistance. Il venait de se coucher, il se leva. Ils convinrent, elle et lui, qu’il irait, au matin, prendre Roland à son refuge pour le conduire dans une retraite sûre, en banlieue.
    À l’entrée du Pont-Neuf, une sentinelle arrêta la voiture. Il n’y avait plus de circulation à cette heure, les Parisiens se reposaient de leur précédente nuit sans sommeil et d’un jour entier de promenade révolutionnaire. Le brigadier du poste s’étonna. « Une femme, seule, dans la nuit ! C’est inconcevable, c’est bien imprudent ! » Soupçonneux, il posa quelques questions, examina la voiture. N’y voyant rien de suspect, il la laissa repartir. Le chien s’endormit sur les genoux de Manon. Les chevaux n’étaient pas moins fatigués que lui, le cocher dut les tirer par la bride pour leur faire monter la rue de La Harpe. Il remisait non loin.
    De retour enfin chez elle où ses domestiques attendaient, fort inquiets, la jeune femme, très lasse elle-même, se fit donner à souper et commença un billet pour son mari. Elle fut interrompue par l’arrivée de commissaires : des municipaux à écharpe avec un officier portant le hausse-col, donc en service. Ils réclamaient Roland. « Vous devez connaître ses habitudes, dit l’officier, et pouvoir ainsi juger de son retour. » Manon ne se laissait pas déferrer si aisément. « Je n’en sais rien, répliqua-t-elle. Roland a quitté sa maison pendant que j’étais à l’Assemblée. Il n’a pu me faire aucune confidence, j’ignore ses intentions. » Ils n’insistèrent pas, mais, en se retirant, ils laissèrent des gardes à l’étage et devant la porte, dans la rue. Manon termina son billet, le confia au domestique afin qu’il le remît à Roland dès l’aube. Il était plus de minuit. Exténuée, elle se coucha, s’attendant à être elle-même arrêtée bientôt. Elle avait trop attendu pour fuir. Peut-être aurait-elle pu le tenter encore. Cela ne convenait pas à son caractère. Au fond, elle désirait être saisie, ne doutant point, dans sa haute idée d’elle-même, qu’un tel acte dût soulever l’indignation générale. Sûre aussi d’employer l’occasion à confondre les scélérats, adversaires des Brissotins.
    La plupart d’entre eux s’étaient réfugiés, toujours en armes, dans leur retraite habituelle : chez

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