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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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effrayée. C’est qu’il était réellement terrifiant. La pauvre grosse Margot, grelottante de peur, gémissant, claquant des dents, l’avait en quelque sorte obligée à surmonter sa propre crainte. À présent, elle n’en éprouvait plus que pour Claude, et Margot s’efforçait à son tour de rassurer sa maîtresse penchée à la fenêtre rouverte depuis qu’il ne pleuvait plus. Lise guettait anxieusement du côté de la rue Saint-Honoré. Tous les réverbères étaient brisés ou éteints, mais la phosphorescence du ciel faisait comme un clair de lune jaunâtre, clignotant, renforcé par des aigrettes qui brûlaient en bouquets blanc-bleu à la pointe des paratonnerres, sur les Tuileries. L’air restait chargé d’électricité dont on sentait l’odeur, un peu semblable à celle du cuivre que l’on frotte. Cependant on ne voyait plus les éclairs, ils avaient disparu derrière les toits du Château, et les grondements s’espaçaient. Alors, Lise entendit une chose étrange parmi les étrangetés de cette nuit : c’était comme un chœur de voix errantes qui semblaient flotter çà et là, tantôt s’éloignant, tantôt proches, tantôt couvertes par le roulement de la foudre, tantôt le couvrant – un chœur dont les échos remplirent, un instant, le quartier aux devantures, aux portes, aux fenêtres barricadées – un chœur de voix jeunes, vibrantes, qui chantaient :
    Entendez-vous dans les campagnes
    Mugir ces féroces soldats ?
    Ils viennent jusque dans nos bras
    Égorger nos fils, nos compagnes.
    Aux armes, citoyens ! formez vos bataillons !
    Marchons, marchons !
    Qu’un sang impur abreuve nos sillons !

XI
    L’orage reprit, mais il avait épuisé sa virulence. Claude, rentré vers deux heures du matin, dormit peu et, sitôt levé, se rendit place de la Bastille, ou de la Liberté. Il y touva fort peu de monde : au plus deux cents hommes de la garde nationale à piques, avec une cinquantaine de fédérés mal armés. Aucun des principaux conjurés parisiens n’était là, hormis Panis. Sergent expliquait à Barbaroux, furieux, que Danton faisait son possible à l’Hôtel de ville où Pétion, prévenu très tard, et gêné par sa position ambiguë, ne parvenait pas à réaliser les dispositions du plan. Santerre et Alexandre s’employaient à lever leurs faubourgs, quoique sans grand résultat.
    Claude avait déjà compris que l’air du jour n’était pas à l’insurrection : la tempête et ses ravages occupaient en entier les esprits. Le rassemblement sur la place attirait très peu de curieux, ils devaient se porter aux endroits où les méfaits de la foudre leur offraient des spectacles plus rares et d’extraordinaires sujets d’ébahissement. Ceux-ci ne manquaient pas dans la banlieue, à Montmartre, au Mont-Valérien, où la violence des éléments s’était fait sentir plus qu’à Paris même. Outre que toutes les croix métalliques, sur les ponts, aux carrefours des routes, avaient été, comme celle de Charenton, arrachées, tordues, le feu du ciel avait fondu ou descellé de fortes grilles, projeté des pièces de fer, de bois à d’incroyables distances, décimé un convoi de chariots apportant des farines à la Halle, foudroyé des maraîchers sur les chemins, des factionnaires dans leurs guérites.
    Danton survint en secouant la tête. « Rien à faire, déclara-t-il, c’est manqué. » Les Marseillais eux-mêmes n’étaient pas au rendez-vous. Quand ils entrèrent dans Paris, ils furent accueillis par les différents chefs de l’insurrection réunis enfin, mais avec cinq à six cents hommes pour toutes troupes. Une poignée de sans-culottes, surtout des femmes et des enfants, des filles du Palais-Royal amenées par Tallien, des badauds, furent les seuls spectateurs du défilé. On se rendit à l’Hôtel de ville où Pétion harangua patriotiquement les héros du Midi, puis leur annonça qu’une caserne les attendait à la Chaussée d’Antin. Claude, bien déçu et estimant qu’il perdait son temps, avait regagné le Palais de justice avec Dubon encore plus amer. « Barbaroux a raison d’accuser Santerre, dit-il. Il ne s’est guère décarcassé. J’ai idée qu’il aimerait mieux faire la Révolution à lui tout seul. Quant à Pétion, c’est un couard ou un hypocrite ; il avance d’un pas et recule de deux. Ils ont peur de la république, tous tant qu’ils sont, voilà le fond de la vérité. À moins qu’ils ne soient achetés par la Cour,

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