Les autels de la peur
la Commune par le bureau de correspondance des sections, dont Dubon serait nommé président. D’autres détachements iraient « emprisonner » Pétion dans son hôtel, arrêter le directoire du Département, les ministres, garder la Halle au blé, l’Arsenal, les Invalides, les ponts. Le gros de la colonne, grossie de la garde nationale populaire et de tous les sans-culottes, se diviserait en trois corps pour cerner les Tuileries. Ils occuperaient le Carrousel et le jardin, s’y fortifieraient par des barricades, des retranchements, de façon à couper le Château de tout secours extérieur. Avec des vivres, des tentes, du canon, on camperait là jusqu’à ce que l’Assemblée ait prononcé la déchéance du Roi, destitué La Fayette et donné aux armées des généraux patriotes. Toute tentative de pillage ou de désordre, on le proclamerait d’abord, recevrait un châtiment immédiat. Barbaroux avait noté à mesure ces dispositions.
Une voix alors, dans la pénombre tressautante, constata que cet orage était vraiment peu ordinaire. En effet, il durait depuis longtemps et sa violence ne diminuait pas. La foudre éclatait de tous les côtés à la fois. Fabre fit remarquer à Camille qu’il était servi.
« Tout cela est fort bien, dit Dubon, mais je n’y vois pas de conclusion. Une fois le Roi déposé, que ferons-nous ? Il faudrait tout de même se décider… à en décider ! »
La discussion reprit, confuse, réticente. L’accord des partis n’irait pas au-delà de l’insurrection, on le comprenait bien. Claude, fatigué de se retrouver toujours devant le même obstacle, laissa finalement sa pensée se tourner vers Lise que cette tempête effrayait peut-être. Lise ne craignait pas les orages, mais celui-ci semblait assez exceptionnel. Sa force enfin commençait de décroître. Il devait être maintenant en plein sur Paris.
« Écoutez, dit Danton, nous n’allons pas nous perdre encore une fois dans des considérations sur ce qu’on fera plus tard. Qu’importe ! tout vaut mieux que ce qui existe. Rapportons-nous-en à l’événement, contentons-nous de le préparer sans lui demander d’avance son secret. On verra bien. »
Fournier l’Américain se mit à rédiger le plan d’attaque d’après les notes prises par Barbaroux. Santerre signala qu’il était plus de minuit. Si l’on voulait déclencher l’affaire au matin, il ne restait pas de temps à gaspiller. On sortit. La fraîcheur humide, une forte odeur d’humus noyé et de sèves répandues, saisirent chacun. Dans l’air refroidi, une buée montait du sol encore chaud. Il ne pleuvait plus, mais tout dégouttait. La terre ruisselait, elle était jonchée de débris. Des tuiles en morceaux, enlevées au toit, craquaient sous les pieds. À la lueur des éclairs qui continuaient d’illuminer la nuit, on vit le jardin ravagé, les arbustes hachés, couchés dans la boue. La porte du mur avait été enfoncée par une énorme branche venue Dieu sait d’où. Dehors, dans les sentiers, c’était le même chablis : partout des litières de feuilles, du bois brisé. On butait dans des choses indistinctes, rompues, innommables. À plusieurs toises du pont, Panis heurta un objet en fer : la croix qui se dressait auparavant sur le parapet. « C’est un présage ! s’écria Gonchon. Un bon présage ! » La consternation n’en régnait pas moins au village où l’on comptait deux maisons atteintes par la foudre, des toits emportés, des bestiaux tués, un homme mort. Nonobstant quoi, au plus fort du cataclysme, une vingtaine de Marseillais, des jeunes téméraires, étaient allés « faire un tour » à Paris.
Le départ ne fut pas rapide, ni le trajet. Le ciel fulgurant éclairait la route, mais les chevaux avaient peur, ils allaient avec précaution. Il fallait s’arrêter fréquemment pour ôter du chemin de grosses branches ou des matériaux qui avaient dû voler de loin dans les airs. Peu avant Bercy, on rencontra les restes d’une voiture épars sur un large espace, comme si elle eût explosé ; puis, ensemble, le cheval mort ainsi que deux voyageurs : un homme et une femme, complètement nus. À Bercy même, les gens, avec des lanternes, des torches, s’affairaient autour d’une maison en ruines. Là aussi, on comptait des cadavres. L’inquiétude et le remords d’avoir laissé Lise seule par une telle soirée tenaillaient Claude.
En vérité, pour la première fois de sa vie, l’orage l’avait
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