Les autels de la peur
seul homme, déclara Danton. Allons organiser ça. »
On se sépara des fédérés jusqu’au matin. Avec Barbaroux, Rebecqui, les Cordeliers, on sortit du village par petits groupes. L’orage grondait toujours derrière les bois dont il découpait par moments le faîte. Il s’approchait peu à peu. Le vent se levait lorsque Claude, Dubon, Legendre et Santerre atteignirent un enclos isolé. Santerre avait annoncé que l’on se rendait à un endroit où l’on ne risquerait point d’être entendu par des espions. Il ouvrit une porte basse. À la réverbération des éclairs, on traversa un jardin qui sentait très fort le sureau, et l’on distingua confusément une maison. Les volets étaient fermés. Santerre, de nouveau, ouvrit une porte. À l’intérieur le noir régnait, et une surprenante fraîcheur. Legendre battit le briquet. Un instant, on ne vit que les mains rougies par cette lueur, puis une chandelle s’alluma. On entra dans une sorte de salon, simplement meublé. « Quelle est cette demeure ? demanda Dubon.
— Peu importe. Un lieu tranquille, voilà tout », répondit Legendre en portant la lumière de sa chandelle à des flambeaux.
Claude, encore remué par le chant des Marseillais, s’était assis, songeur. Danton arrivait avec Barbaroux, suivis de près par tous les autres, qui se hâtaient de chercher abri. Le vent, maintenant fort, agitait les arbres dont on entendait les feuillages bruire comme de la soie froissée. La pluie se mit à crépiter. « Nous arrivons à temps », remarqua quelqu’un. Desmoulins, Fabre entrèrent en s’ébrouant. Un violent coup de tonnerre éclata et les cataractes qu’espérait Camille se déversèrent. Il y avait à présent dans le salon une douzaine d’hommes capricieusement groupés. Danton était assis derrière une table avec Barbaroux sur le côté. L’énorme Santerre s’adossait à la cheminée.
« Avant tout, mes amis, dit Claude, arrêtons bien un principe : la nation doit agir en souveraine, non pas comme une bande de brigands. La déposition du Roi doit se faire par la majesté du peuple. C’est à cette condition que nous entraînerons le corps législatif et la France patriote tout entière. Ne recommencez pas le 20 juin, n’entrons pas au château. Bloquons simplement, avec des forces imposantes, la royauté dans son dernier asile. Comme le peuple de Rome quand il se retirait sur l’Aventin, nous enverrons alors à l’Assemblée un plébiscite afin que la représentation nationale pourvoie aux dangers de la patrie et assure la liberté.
— Très bien ! dit Gonchon.
— Ce n’est pas assez énergique », protesta Lazouski.
Une vive discussion s’engagea tandis que dehors se déchaînait la tempête. Le vent, sifflant, rugissant, passait sous les portes et ses souffles faisaient vaciller la flamme des bougies. Des trombes de pluie ou de grêle fouettèrent la maison que secouaient les détonations ininterrompues du tonnerre. Les carreaux vibraient. Une fulguration continue illuminait les ouvertures découpées dans les volets. On parlait au milieu d’un vrombissement, d’un vacarme d’explosions, d’un tremblement, de la fureur des éléments qui semblaient s’acharner contre la terre, la secouaient, la fouaillaient, la saccageaient. La foudre tombait à tout instant avec des craquements d’une violence terrifiante, et l’on sentait le sol bondir. La forêt proche hurlait. Mais personne, dans le salon rustique, ne prêtait attention à cette rage des choses. On élevait seulement la voix pour couvrir ces bruits. Cela prêtait à la discussion l’air d’une dispute, ce qu’elle n’était point. Fournier l’Américain, partisan de forcer le Château, et Lazouski, Santerre, qui avaient d’abord repris l’idée d’enlever Louis XVI pour l’enfermer à Vincennes, s’étaient finalement rangés à l’avis général : celui-là même de Claude. Santerre et Alexandre promirent pour la matinée vingt à trente mille hommes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Selon Panis, le comité insurrectionnel pourrait leur adjoindre environ trois mille fédérés, dont les Brestois, aux rouges uniformes.
On décida que ces forces, réunies aux Marseillais pour fraterniser, place de la Bastille, défileraient avec eux par les quais jusqu’à l’Hôtel de ville où se trouverait Lazouski avec ses canonniers. Un détachement prêterait main-forte à Danton et Manuel pour remplacer le Conseil général de
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