Les Aventures de Nigel
parfaitement connue, mais qui lui faisait des amis, et qui en imposait à ceux qui auraient été disposés à jouer à son égard le rôle d’ennemis.
Il avait été un temps où on la supposait liguée avec la famille Buckingham, avec laquelle son frère était toujours étroitement lié. Un peu de froideur était survenue entre elle et la duchesse ; on les voyait rarement ensemble, et la comtesse de Blackchester affectait de vivre d’une manière retirée. Mais on disait tout bas que sa rupture avec l’épouse du grand favori ne lui avait fait rien perdre de son crédit sur celui-ci.
Nous n’avons pas assez de détails sur les intrigues particulières de la cour à cette époque, ni sur les individus qui en tenaient le fil, pour prononcer sur les divers bruits auxquels les circonstances que nous venons de rapporter avaient donné naissance. Il nous suffira de dire que lady Blackchester possédait une grande influence sur le cercle qui l’entourait, et qu’elle en était redevable à ses charmes, à ses talens, et au savoir-faire qu’on lui supposait pour conduire une intrigue de cour. Nigel Olifaunt ne fut pas long-temps sans éprouver son pouvoir, et il devint, jusqu’à un certain point, esclave de cette espèce d’habitude qui porte bien des gens à se rendre à telle heure dans telle société sans y trouver, et même sans y espérer ni amusement ni intérêt.
Voici à peu près quelle fut sa vie pendant plusieurs semaines. L’Ordinaire commençait assez bien la journée, et le jeune lord trouva bientôt que si la société qui s’y rassemblait n’était pas irréprochable, c’était néanmoins le rendez-vous le plus agréable qu’il pût avoir avec les jeunes gens à la mode, dans la compagnie desquels il allait à Hyde-Park, au spectacle, dans les autres lieux publics, ou joindre le cercle joyeux et brillant qui se réunissait autour de lady Blackchester. Il n’avait plus cette horreur scrupuleuse qui, dans l’origine, l’avait même fait hésiter d’entrer dans une maison où l’on se permettait de jouer. Au contraire, il commençait à concevoir l’idée qu’il ne pouvait y avoir aucun mal à être témoin de cet amusement, quand ceux qui s’y livraient le faisaient avec modération. La suite de ce raisonnement était toute naturelle ; c’était qu’il n’y avait pas plus de mal à se le permettre à soi-même, pourvu que ce fût avec la même réserve. Mais lord Glenvarloch était Écossais : il avait été accoutumé de bonne heure à réfléchir, et il n’avait aucune habitude de prodigalité. Ni la nature ni l’éducation n’avaient fait de lui un dissipateur ; et, suivant toutes les probabilités, quand son père s’était représenté avec une noble horreur son fils s’approchant d’une table de jeu, il avait plus redouté ses gains que ses pertes. En effet, suivant ses principes, la perte avait une fin, une fin déplorable sans doute, la ruine de la fortune matérielle ; mais le gain ne faisait qu’augmenter le danger qu’il craignait le plus, et mettait en péril en même temps le corps et l’ame du joueur.
Quel que fût le fondement des craintes du vieux lord, la conduite de son fils ne tarda pas à prouver qu’elles étaient justes. Après avoir été quelque temps spectateur des jeux de hasard de l’Ordinaire, il en vint peu à peu à s’y intéresser par de petites gageures, et l’on ne peut nier que son rang et ses espérances ne lui permissent de risquer quelques pièces d’or, car il n’allait pas plus loin, contre des gens qu’il pouvait supposer fort en état de faire une pareille perte, d’après la légèreté avec laquelle ils engageaient leur argent.
Il arriva, ou, pour nous servir d’une phrase du temps, le mauvais génie de Nigel avait décrété qu’il serait heureux dans toutes ses gageures. D’une part, il avait de la prudence, du sang-froid, une excellente mémoire, une facilité étonnante pour les calculs ; de l’autre, il était ferme et intrépide ; personne n’aurait osé le regarder avec un air de légèreté, encore moins lui adresser un mot inconsidéré ; à plus-forte raison ne se serait-on pas hasardé à employer contre lui quelqu’un de ces tours de chevaliers d’industrie qui souvent ne réussissent qu’en intimidant ceux qui en sont les victimes. Lord Glenvarloch ne jouait jamais qu’un jeu régulier, c’est-à-dire l’argent sur la table ; et quand il voyait la fortune s’éloigner de lui, ou
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