Les Aventures de Nigel
qu’il ne voulait pas la tenter plus long-temps, les joueurs de profession qui fréquentaient la maison de M. le chevalier de Saint-Priest de Beaujeu n’osaient exprimer tout haut leur mécontentement de le voir se retirer en gagnant. Mais comme cette circonstance se représenta plusieurs fois, les joueurs murmurèrent tout bas entre eux contre la prudence et le bonheur du jeune Écossais ; et il s’en fallait de beaucoup qu’il fût avancé dans leurs bonnes grâces.
Ce qui ne contribua pas peu à le confirmer dans cette pernicieuse habitude, quand il l’eut une fois prise, ce fut que le gain l’exemptait de la nécessité désagréable pour sa fierté naturelle de contracter de nouvelles obligations pécuniaires, que son séjour prolongé à Londres lui aurait, sans cela, rendues indispensables. Il avait à solliciter des ministres l’accomplissement de certaines formes officielles qui devaient rendre exécutoire l’ordonnance signée par le roi en sa faveur ; et, quoiqu’on ne pût lui adresser un refus à cet égard, on lui faisait éprouver des délais qui le portaient à croire qu’une opposition secrète occasionait le retard de l’expédition de son affaire. Son premier mouvement avait été de se rendre une seconde fois à la cour, avec l’ordonnance du roi, et de demander à Sa Majesté elle-même si ses ministres avaient le droit de rendre inutile sa générosité royale, à force de délais. Mais le vieux comte d’Huntinglen, qui était intervenu en sa faveur d’une manière si franche dans la première occasion, et qu’il continuait à voir de temps en temps, l’avait fortement dissuadé de risquer une telle démarche, et l’avait exhorté à attendre patiemment la signature des ministres, ce qui le dispenserait de rester plus long-temps à la suite de la cour.
Lord Dalgarno se joignit à son père pour le détourner de se montrer de nouveau à la cour, du moins jusqu’à ce qu’il se fût réconcilié avec le duc de Buckingham. – Je lui ai offert mon aide pour y réussir, quelque faible qu’elle puisse être, dit-il à son père en présence de son jeune ami ; mais il m’a été impossible de déterminer Nigel à faire le moindre acte de soumission envers le duc de Buckingham.
– Sur ma foi ! je crois que le jeune homme a raison, répondit le vieux lord écossais, inébranlable sur tout ce qui touchait à l’honneur. Quel droit Buckingham, ou, pour mieux dire, le fils de sir George Villiers, a-t-il de demander hommage et soumission à un homme plus noble que lui de huit quartiers ? Je l’ai entendu moi-même se déclarer l’ennemi de lord Nigel, sans qu’à ma connaissance il en eût aucune raison ; et ce ne sera jamais par mon avis que le jeune homme lui adressera une parole de douceur, avant qu’il ait réparé lui-même son incivilité.
– C’est précisément l’avis que j’ai donné à lord Glen-varloch, mon père ; mais vous devez convenir aussi que notre ami risquerait tout s’il se montrait en présence du roi tandis que le duc est son ennemi. Il vaut mieux me laisser le soin d’effacer peu à peu les préventions fâcheuses et injustes que quelques intrigans ont inspirées au duc contre lui.
– Si vous réussissez à convaincre Buckingham de son erreur, Malcolm, je dirai que, pour une fois, il se trouve de la candeur et de l’honnêteté à la cour ; mais j’ai dit bien des fois à votre sœur et à vous-même que je n’ai qu’une estime bien mince pour tout ce qu’on y voit.
– Vous devez être bien sûr que je ne négligerai rien pour servir Nigel ; mais songez aussi, mon père, qu’il faut que j’emploie des moyens plus lents et plus doux que ceux qui ont fait de vous un favori il y a vingt ans.
– Eh, sur mon honneur ! Malcolm, je ne doute pas de votre bonne volonté. J’aimerais mieux descendre dans le tombeau que de douter un instant de votre honneur et de votre loyauté. Cependant je vois que ces deux qualités ne sont pas aussi utiles à la cour que dans ma jeunesse ; comment se fait-il que vous y êtes bien vu ?
– Oh ! le temps actuel n’exige pas le même genre de services que le siècle passé. Nous n’avons plus une insurrection chaque jour, une tentative d’assassinat chaque nuit, comme c’était la mode à la cour d’Écosse. On n’a plus besoin d’avoir sans cesse le fer à la main pour servir le roi. Cela serait aussi ridicule que de voir vos vieux serviteurs avec leurs plaques, leurs claymores et
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