Les Aventures de Nigel
connaissance du monde unejeune fille qui deux fois par semaine parcourait tout l’espace qui séparait Temple-Bar de Lombard-Street, sans parler des promenades du dimanche dans le parc toutes les fois que le temps était beau. Certainement la jolie mistress Marguerite était si peu disposée à endurer de telles remontrances, que ses visites dans l’appartement solitaire seraient probablement devenues plus rares à mesure que ses relations avec le monde devenaient plus fréquentes, si elle n’avait été retenue d’une part par ce respect habituel dont elle ne pouvait se défendre, et de l’autre par l’idée d’être admise, jusqu’à un certain point, à une confiance pour laquelle tant d’autres soupiraient en vain.
D’ailleurs, quoique sa conversation fût toujours sérieuse, Hermione n’était ni sévère ni même trop grave. Elle ne s’offensait pas des écarts de légèreté que Marguerite se permettait quelquefois en sa présence, même dans des occasions où Monna Paula levait les yeux au ciel, et soupirait avec toute la compassion que peut accorder une dévote à ceux qu’elle regarde comme les esclaves d’un monde profane. Ainsi donc, au total, la jeune fille se résignait, quoique non sans quelque dépit, à écouter les sages avis de lady Hermione, et d’autant plus aisément qu’au mystère dont cette dame était enveloppée il s’était joint dès sa première jeunesse une idée vague de richesse et d’importance, confirmée par bien des circonstances accidentelles qu’elle avait remarquées depuis qu’elle était en état de faire des observations.
Il arrive fréquemment que les avis que nous recevons, à contre-cœur, quand on nous les donne sans que nous les demandions, nous deviennent précieux quand quelque embarras nous inspire plus de méfiance contre notre propre jugement que nous n’en avons lorsque tout va au gré de nos désirs ; et cela arrive surtout quand nous supposons à la personne de qui nous les recevons le désir et le pouvoir de joindre à ses conseils des secours efficaces. Telle était la situation dans laquelle Marguerite se trouvait en ce moment. Elle était, ou elle croyait être dans un état à avoir besoin de conseils et de secours, et ce fut pour cette raison qu’après avoir passé une nuit dans l’inquiétude et sans fermer l’œil, elle résolut d’avoir recours à lady Hermione qu’elle savait très disposée à donner des avis, et qu’elle espérait trouver en état de lui procurer aussi un autre genre d’assistance. La conversation qui eut lieu entre elles expliquera le sujet de cette visite.
CHAPITRE XIX.
« Parlez-moi, ventrebleu ! d’une femme pareille !
« Dans les camps, à l’armée, elle ferait merveille.
« Elle est faite, ma foi, pour aimer un soldat.
« En l’armant elle-même à l’instant du combat,
« Elle lui chanterait couplet et chansonnette,
« Quand même l’ennemi, du son de sa trompette,
« Semblerait à deux pas répéter son refrain ;
« On la verrait panser et bander de sa main,
« Sans trembler, sans frémir, sans pousser un murmure,
« D’un amant renversé la plus large blessure,
« Et baiser tendrement son front ensanglanté.
Ancienne comédie.
Lorsque Marguerite entra dans l’appartement Foljambe, elle trouva celles qui l’habitaient occupées, à leur ordinaire, la maîtresse à lire, et la suivante à travailler à une grande pièce de tapisserie, ouvrage auquel elle s’était constamment appliquée depuis le premier instant que Marguerite avait été admise dans cette retraite.
Hermione fit un signe de tête à Marguerite d’un air de bonté ; mais sans lui parler, et cette jeune fille, accoutumée à cet accueil, ne fut pas fâchée d’avoir quelques instans pour recueillir ses idées. Elle se baissa sur le métier à tapisserie de Monna Paula, et lui dit à demi-voix : – Vous en étiez justement à cette rose, Monna, la première fois que je vous vis. – Voyez : voilà l’endroit où j’ai eu le malheur de gâter la fleur en essayant d’imiter votre point. Je n’avais guère que quinze ans alors. Ces fleurs me vieillissent, Monna Paula.
– Je voudrais qu’elles vous rendissent sage, mon enfant, répondit Monna Paula, dans les bonnes grâces de laquelle la jolie mistress Marguerite n’était pas aussi avancée que dans celles de sa maîtresse ; ce qui venait en partie d’un caractère naturellement austère qui ne pardonnait rien à la jeunesse
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