Les Aventures de Nigel
remets enfin. Souvenez-vous de ce jardin, mauvais drôle, et de la rapidité avec laquelle vous vous sauvâtes à la vue d’une épée nue, devant cinquante témoins. Descendez, monsieur, et ne me forcez pas à bâtonner un lâche comme vous.
La figure du rodomont devint aussi noire que la nuit, à cette reconnaissance inattendue ; car il croyait que son changement de costume et le taffetas qu’il avait sur l’œil l’empêcheraient d’être découvert par une personne qui ne l’avait vu qu’une fois. Il serra les dents, se tordit les mains, et l’on eût dit qu’il cherchait un moment de courage pour fondre sur son antagoniste. Mais le cœur lui manqua, il remit son épée dans le fourreau, tourna le dos dans un sombre silence, et ne dit mot jusqu’à ce qu’il fût sur le seuil de la porte. Là, se retournant, il dit avec un jurement :
– Si je ne me venge pas avant peu de jours de cette insolence, je donne mon corps à la potence et mon ame au diable.
En parlant ainsi, et en lançant à Nigel un regard plein de dépit et de malignité farouche qui laissait encore entrevoir sa frayeur, il descendit et disparut. Nigel le suivit jusque sur le palier de la galerie pour le voir partir, et en revenant il se trouva, vis-à-vis mistress Marthe Trapbois, que le bruit de la dispute avait attirée ; et il ne put s’empêcher de lui dire d’un ton de mécontentement :
– Je voudrais bien, madame, que vous donnassiez à votre père et à ses amis la leçon que vous avez eu la bonté de me faire à moi-même ce matin, afin d’obtenir d’eux qu’ils ne viennent plus m’importuner dans mon appartement.
– Si vous êtes venu ici pour y chercher le repos et la retraite, jeune homme, répondit-elle, vous ne pouviez pas plus mal choisir ; autant vaudrait chercher la pitié dans la chambre étoilée, ou des saints en enfer, que le repos dans l’Alsace ; mais mon père ne vous importunera plus.
Entrée dans l’appartement, elle fixa ses yeux sur la cassette, et dit avec emphase :
– Si vous laissez en évidence un tel aimant, il attirera plus d’une lame d’acier contre votre gorge.
Pendant que Nigel fermait la cassette, Marthe, sans beaucoup de respect, reprocha à son père de fréquenter un tapageur et un scélérat comme Jack Colepepper.
– Oui, oui, ma fille, dit le vieillard avec ce clignotement qui témoignait qu’il était content de la supériorité de son intelligence ; oui, – je sais que, – hum ! hum ! mais je l’attraperai ; je les connais tous, et je sais comment les prendre. Oui, je m’y entends.
– Vous vous y entendez, mon père ? dit l’austère demoiselle ; oui, et si bien qu’ils vous couperont la gorge avant peu. Vous ne pouvez comme autrefois leur cacher votre or.
– Mon or, dites-vous, mon or ? reprit l’usurier ; je n’en ai guère, et Dieu sait ce qu’il m’a coûté ; je n’en ai guère, vous dis-je, et je ne l’ai pas gagné sans peine.
– Ruse inutile, mon père, et depuis long-temps vous l’auriez reconnu, si Colepepper ne s’était imaginé qu’il lui serait plus facile de s’emparer de vos biens en s’emparant de ma personne. Mais pourquoi lui parler ainsi ? continua Marthe en s’interrompant avec un geste de pitié et presque de mépris. Il ne m’entend pas, il ne pense pas à moi. N’est-il pas étrange que la soif d’amasser de l’or l’emporte sur le soin de conserver et son or et sa vie ?
– Votre père, dit lord Glenvarloch qui ne put s’empêcher de respecter le bon sens et la sensibilité de cette pauvre femme, malgré sa rudesse ; votre père semble retrouver toutes ses facultés quand il s’agit de son but constant. Je m’étonne qu’il ne comprenne pas la sagesse de vos raisons.
– La nature, répondit Marthe, en a fait un homme insensible au danger ; et cette insensibilité est la meilleure qualité que je tienne de lui ; l’âge lui a laissé assez de finesse pour continuer à se diriger dans le premier sentier qu’il s’est tracé, mais non pour en trouver un nouveau : le vieux cheval aveugle tournera encore long-temps, dans le moulin, quoiqu’il ne puisse faire deux pas dans la prairie sans broncher.
– Ma fille, – allons, ma ménagère, dit le vieillard s’éveillant comme d’un rêve dans lequel son imagination s’était probablement amusée de l’idée de quelque friponnerie ; – ma fille, retournez à votre chambre, – tirez les verrous, – veillez bien à la porte,
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