Les Aventures de Nigel
– ne laissez entrer et sortir que le digne monsieur Grahame. – Je vais prendre mon manteau et aller trouver le duc Hildebrod. – Oui, oui, – il fut un temps où ma garde suffisait ; mais plus nous descendons, plus nous sommes sous le vent.
Et avec le refrain accoutumé de son marmottement et de sa toux, le vieillard sortit. Sa fille le regarda quelque temps avec son expression habituelle d’inquiétude et de chagrin.
– Vous devriez persuader à votre père de quitter ce funeste voisinage, dit Nigel, si vous craignez réellement pour sa sûreté.
– Il ne serait pas plus en sûreté dans tout autre, répondit Marthe ; j’aimerais mieux voir le vieillard mort que déshonoré publiquement. Dans tout autre quartier, il serait poursuivi et couvert de boue comme une chouette qui se hasarde au grand jour. Ici il n’a rien à craindre tant que ses camarades profitent de ses talens ; ils le pillent et le volent sous le moindre prétexte ; ils le considèrent comme un vaisseau échoué, d’où chacun peut prendre sa part du butin ; tout ce qu’il possède est regardé comme une propriété publique, et la jalousie qu’ils ont les uns contre les autres suffit peut-être pour le défendre des attaques particulières.
– Je n’en persiste pas moins à dire que vous devriez quitter ce lieu-ci, continua Nigel, puisque vous pourriez trouver une retraite sûre dans quelque contrée éloignée.
– En Écosse, sans doute, dit Marthe en le regardant d’un œil soupçonneux et scrutateur ; en Écosse, pour y enrichir des étrangers de notre bien ? Ah ! jeune homme !
– Madame, si vous me connaissiez, dit lord Glenvarloch, vous vous seriez épargné le soupçon qu’expriment vos paroles.
– Qui m’en assurera ? reprit Marthe avec malice ; on dit que vous êtes un querelleur et un joueur, et je sais jusqu’à quel point on peut se fier à ces sortes de gens dans l’adversité.
– On me calomnie, j’en atteste le ciel ; répondit lord Glenvarloch.
– Cela est possible, dit Marthe ; peu m’importent vos folies et vos vices ; mais il est clair que les unes ou les autres vous ont conduit ici. Et à ces mots elle quitta l’appartement.
Il y avait dans les manières de cette femme peu gracieuse quelque chose qui annonçait du mépris pour celui à qui elle parlait. C’était une indignité à laquelle lord Glenvarloch n’avait pas encore été exposé, malgré son peu de richesse, et qui par conséquent lui causa une pénible surprise. L’idée du danger qu’il courait s’il quittait son lieu de refuge ne laissait pas aussi de l’affliger. L’homme le plus brave, placé dans une situation où il est entouré de personnes soupçonneuses, et loin de tout conseil et de toute assistance excepté le secours de son courage et de son bras, éprouve un abattement et un sentiment d’abandon qui pour un moment glacent son cœur, et nuisent même à ses penchans naturellement généreux.
Mais si de tristes réflexions s’élevèrent dans l’esprit de Nigel, il n’eut pas le temps de s’y livrer. S’il avait peu d’espoir de trouver des amis dans l’Alsace, il ne risquait guère de rester dans la solitude, faute de visites.
Il se promenait depuis dix minutes dans son appartement, cherchant à réfléchir au moyen de quitter l’Alsace, quand il fut interrompu par le souverain du quartier, le grand duc Hildebrod lui-même, à l’approche duquel les verrous de l’avare s’ouvrirent comme spontanément. Les deux battans de la porte se séparèrent afin qu’il pût en quelque sorte se rouler dans la maison comme un énorme tonneau, objet auquel il ressemblait passablement par sa tournure, son teint et son contenu.
– Bonjour à Votre Seigneurie, dit-il en clignant de l’œil pour regarder Nigel avec une expression singulière d’impudence et de familiarité, tandis que son farouche bouledogue, qui le suivait, murmurait dans son gosier comme pour saluer de la même manière un chat étique, le seul être vivant de la maison de Trapbois que nous n’ayons pas encore nommé, et qui s’était sauvé au faite du ciel de lit, d’où il regardait en grimaçant le mâtin dont il accueillait le salut avec la même bonne grâce que Nigel le compliment du maître.
– Paix là, Belzie {98} ; va-t’en à tous les diables, et tais-toi, dit le duc Hildebrod. – Les bêtes et les fous sont toujours à se quereller, milord !
– Je pensais, monsieur, dit Nigel avec autant de
Weitere Kostenlose Bücher