Les Aventures de Nigel
bien un clin d’œil. Il faut que je m’occupe maintenant de mes scellés. – Cette horrible scène m’a tourné la tête. Il y a ici un homme qui a demandé à vous voir de la part de M. Lowestoffe. Comme il disait que son affaire était pressée, le sénat ne lui a fait boire qu’une couple de flacons, et il venait frapper à votre porte quand ce vent a soufflé. – Holà ! l’ami, voici monsieur Nigel Grahame.
Un jeune homme vêtu d’une jaquette verte, avec une plaque sur la manche, et la tournure d’un batelier, s’approcha, et prit Nigel à part, tandis que le duc Hildebrod allait d’un lieu à l’autre pour exercer son autorité, fermant avec soin les fenêtres et les portes de l’appartement. Les nouvelles apportées par le messager de Lowestoffe n’étaient pas des plus agréables. Elles furent communiquées à Nigel d’une manière polie : elles portaient en substance que M. Lowestoffe l’invitait à pourvoir à sa sûreté en quittant sur-le-champ Whitefriars, parce qu’un ordre du lord grand-justicier avait été donné pour le saisir, et devait être exécuté le lendemain avec le secours d’un détachement de fusiliers, force à laquelle les Alsaciens ne voulaient ni n’osaient résister.
– Ainsi donc, chevalier, dit l’aquatique émissaire, mon bateau vous attend aux escaliers du Temple, à cinq heures du matin ; et si vous voulez mettre en défaut ces limiers, vous le pouvez.
– Pourquoi M. Lowestoffe ne m’a-t-il pas écrit ? dit Nigel.
– Hélas ! ce brave jeune homme n’en a pas la liberté.
– Ne m’a-t-il pas envoyé quelque gage pour attester votre mission ? dit Nigel.
– Un gage ? un gage ? – Oui, parbleu, cette preuve suffit, et je ne l’ai pas oubliée ; puis relevant la ceinture de son pantalon, il ajouta : – Oui, j’en ai une, – vous devez m’en croire, votre nom est écrit avec un O, pour Grœme. – Eh bien ! c’est cela, je pense ? – Nous trouverons-nous dans deux heures, pour profiter de la marée et descendre la rivière aussi rapidement qu’une barque à douze rames ?
– Où est le roi maintenant ? le sais-tu ? demanda lord Glenvarloch.
– Le roi ? pourquoi ? Il descendit hier à Greenwich par eau, comme un noble souverain qu’il est, naviguant aussi souvent qu’il le peut. Il devait aller chasser cette semaine ; mais ce projet est rompu, dit-on, et le prince, et le duc, et tout le monde à Greenwich est aussi joyeux que des goujons.
– Bien, répondit Nigel ; je serai prêt à partir à cinq heures ; viendras-tu ici pour prendre mon bagage ?
– Oui, oui, monsieur, répondit le drôle ; et il sortit, se mêlant à la suite turbulente du duc Hildebrod, qui se retirait. Ce potentat pria Nigel de fermer les portes derrière lui, et lui montrant du doigt la femme qui était assise près du feu expirant, les membres raides comme ceux d’une personne que la main de la mort a déjà frappée, il lui dit à l’oreille : – Pensez à ce que vous savez, et à notre marché, ou bien je couperai la corde de votre arc avant que vous puissiez le tendre.
Quoique profondément révolté de la brutalité d’un homme qui pouvait lui recommander de poursuivre de pareils projets sur une malheureuse dans l’état où était Marthe, lord Glenvarloch cependant fut assez maître de lui-même pour recevoir cet avis en silence, et en exécuter la première partie en fermant soigneusement la porte sur le duc Hildebrod et sa suite, dans l’espoir secret qu’il ne les reverrait jamais ni n’en entendrait plus parler. Il retourna alors à la cuisine, où restait la malheureuse fille de Trapbois, les mains encore entrelacées, les yeux fixes et les membres tendus comme ceux d’une personne en extase. Touché de sa situation et de l’avenir qui la menaçait, il s’efforça de la rappeler à la vie par tous les moyens qui étaient en son pouvoir ; et enfin il parut avoir réussi à dissiper sa stupeur et à attirer son attention. Il lui apprit alors qu’il se disposait à quitter Whitefriars dans quelques heures ; – que son avenir était incertain, mais qu’il désirait vivement savoir s’il pouvait contribuer à lui être utile en faisant connaître sa situation à quelqu’un de ses amis ou autrement. Elle parut comprendre avec quelque difficulté ce qu’il voulait dire, et prononça quelques mots de remercîmens courts et peu gracieux, selon son habitude. – Elle accepterait volontiers, dit-elle, mais
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