Les Aventures de Nigel
il devait savoir que le malheureux n’a point d’amis.
Nigel dit qu’il ne voudrait pas l’importuner, mais que, comme il était sur le point de quitter le quartier…
Elle l’interrompit :
– Vous allez quitter Whitefriars. Je veux aller avec vous.
– Venir avec moi ! s’écria lord Glenvarloch.
– Oui, dit-elle ; je persuaderai à mon père de quitter cet antre du meurtre. – Mais comme elle disait ces mots, le souvenir de tout ce qui s’était passé s’offrit à son esprit : elle cacha sa figure dans ses mains, et s’abandonna aux soupirs, aux gémissemens et à des lamentations qui se terminèrent par des convulsions violentes.
Lord Glenvarloch, étonné, troublé, et sans expérience, était sur le point de sortir pour aller chercher un médecin, ou du moins demander du secours à quelque femme. Mais la malade, lorsque les convulsions se furent un peu calmées, le retint par la manche d’une main, et de l’autre se couvrit le visage, tandis qu’un torrent de larmes vint soulager la douleur dont elle avait été si violemment agitée.
– Ne me quittez pas, dit-elle, – ne me quittez pas, et n’appelez personne. Je ne me suis jamais trouvée dans cet état ; et je n’y serais pas maintenant, dit-elle en essuyant ses yeux avec son tablier ; – non, je n’y serais pas s’il ne m’avait aimée, quoique sa fille fût le seul être humain qu’il aimât. – Mourir ainsi, et par une telle main ! ! !
Et cette malheureuse femme s’abandonna de nouveau à toute sa douleur, mêlant les larmes aux sanglots, aux lamentations, et à tous les signes du plus cruel abattement. À la fin elle recouvra peu à peu le calme par un effort pénible, et résistant aux retours fréquens de son désespoir, par une force de volonté semblable à celle de ces épileptiques qui parviennent à suspendre leur accès. Cependant son esprit, quelque résolu qu’il fût, ne pouvait pas tellement dompter son agitation qu’elle n’éprouvât encore de violens tremblemens, qui par intervalles ébranlaient tout son corps d’une manière effrayante à voir. L’intérêt qu’inspirait à Nigel cette infortunée lui fit oublier sa propre situation et même toute autre chose ; intérêt qui affectait d’autant plus une ame fière, qu’elle-même, avec une fierté égale, semblait résolue à devoir le moins possible à l’humanité et à la pitié des autres.
– Je ne suis pas accoutumée à une pareille situation, dit-elle : – mais la nature est toute-puissante sur les êtres faibles qu’elle a crées. J’ai sur vous quelques droits , monsieur ; car sans vous, je n’aurais pas survécu à cette épouvantable nuit. J’aurais désiré que votre secours fût ou plus prompt, ou plus tardif. Mais vous m’avez sauvé la vie, et c’est maintenant un devoir pour vous de tout faire pour me la rendre supportable.
– Indiquez-moi comment cela est possible, répondit Nigel.
– Vous partez d’ici, venez-vous de me dire à l’instant ; emmenez-moi avec vous. Par mes propres efforts je ne pourrais jamais m’échapper de cet antre de crime et de misère.
– Hélas ! que puis-je faire pour vous ? Mon destin, et je ne puis l’éviter, me conduit, selon toutes les probabilités, dans une prison. Je pourrais bien vous emmener, si vous pouviez ensuite trouver quelque ami.
– Un ami ! je n’ai point d’amis. Ils nous ont tous depuis long-temps répudiés. Un spectre sortant du tombeau serait mieux reçu que moi à la porte de ceux qui nous ont méconnus, – et s’ils voulaient maintenant me rendre leur amitié, je la mépriserais parce qu’ils l’ont retirée – à celui qui est là (et ici il lui fallut toute sa force d’ame pour résister à un nouveau paroxysme), – à celui qui est là sans vie, continua-t-elle, – à lui. – Non, je n’ai point d’amis. Alors elle se tut, puis elle ajouta soudain : – Je n’ai point d’amis, mais j’ai de quoi en acheter beaucoup. J’ai ce qui peut acheter des amis et des vengeurs. – C’est bien pensé ; je ne le laisserai pas devenir la proie des voleurs et des assassins. – Étranger, retournez à cette chambre, entrez courageusement dans la sienne, c’est-à-dire dans la chambre à coucher, dérangez le bois de lit ; sous chacun des pieds est une plaque de cuivre comme pour en soutenir le poids, mais c’est celle qui est à gauche, le plus près du mur, qui doit fixer votre attention. – Pressez le coin de la plaque,
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