Les Aventures de Nigel
misérables peuvent revenir et –
– Il est vrai, très vrai, – il peut revenir ; et quoique je ne craigne pas d’être assassinée par lui, il pourrait peut-être s’emparer de ce qui le tentait le plus. Gardez cette clef et cette pièce d’or, elles sont l’une et l’autre très importantes. Défendez votre vie si l’on vous attaque ; et si vous tuez ce misérable, je vous rendrai riche. Je vais moi-même appeler du secours.
Nigel allait lui faire quelques observations, mais elle était déjà partie, et au bout d’un moment il entendit la porte de la maison se refermer sur elle. Il pensait d’abord à la suivre ; mais en se rappelant qu’il n’y avait qu’un court espace entre la taverne d’Hildebrod et la maison de Trapbois, il conclut qu’elle ne courait que très peu de danger en le traversant, et qu’il ferait bien pendant ce temps de rester pour veiller le corps de son père, comme elle le lui avait recommandé.
C’était une situation fort peu agréable pour une personne qui n’était nullement habituée à de pareilles scènes, que de rester dans cet appartement avec les cadavres de deux hommes morts depuis à peine une demi-heure, tous deux d’une mort violente, l’un des mains de l’assassin, l’autre par celles du témoin lui-même, exécuteur de cet acte de justice, et sous les yeux de qui leur sang ruisselait encore sur le plancher.
Il détourna sa vue de ces restes inanimés, avec un sentiment de dégoût mêlé de superstition, et il sentit alors que l’idée seule de la présence de ces objets, quoiqu’il ne les aperçût plus, le tourmentaient encore davantage que lorsqu’il avait les regards fixés sur leurs yeux éteints.
L’imagination jouait aussi son rôle ; il lui semblait entendre tantôt le frôlement de la robe de chambre de damas usée que portait l’usurier, tantôt un bruit sourd comme si le brigand immolé étendait les jambes pour se relever ; tantôt enfin les pas et la voix de l’autre, qui revenait sous la fenêtre par laquelle il s’était échappé. Pour se préparer à ce dernier danger plus réel, et pour bannir les terreurs de son imagination, Nigel se mit à la croisée ; il observa avec joie la lumière de plusieurs torches dans la rue, suivies, ainsi que l’indiquait le murmure des voix, par un certain nombre de personnes armées, à ce qu’il paraissait, de mousquets et de hallebardes, et qui accompagnaient Hildebrod ; celui-ci n’était plus dans son rôle fantastique de duc, mais dans l’exercice de ses fonctions réelles de bailli du sanctuaire de Whitefriars, et il venait faire une enquête sur le crime et ses circonstances.
Ce fut un étrange et triste contraste de voir ces débauchés arrachés à leurs orgies nocturnes. À leur arrivée dans le lieu de cette horrible scène, ils se regardaient les uns les autres, puis contemplaient ce sanglant spectacle en pâlissant. Ils s’avançaient d’un pas incertain sur ce plancher tout dégoûtant de sang ; leur voix, naguère si bruyante, ne faisait plus entendre que des chuchotemens interrompus. Abattus par ce qu’ils voyaient, et la tête encore troublée des liqueurs qu’ils avaient bues, ils ressemblaient à ces hommes qui marchent dans leur sommeil.
Le vieil Hildebrod seul faisait exception ; ce sac-à-vin, même lorsqu’il était plein, était encore capable de se remuer s’il trouvait un moteur assez puissant pour le mettre en mouvement. Il paraissait très frappé de ce qu’il voyait, et ses manières en conséquence avaient plus de régularité et de convenance qu’on n’aurait pu lui en supposer dans toute autre occasion. Marthe fut d’abord interrogée, et elle exposa avec une précision et une clarté étonnantes comment elle avait été alarmée par le bruit d’une violente lutte dans la chambre de son père, et cela d’autant plus promptement qu’elle le veillait à cause de quelques alarmes qu’avait données sa santé. En entrant elle avait vu son père terrassé par deux hommes, sur l’un desquels elle s’était précipitée avec toute la violence dont elle était capable. Comme ils étaient masqués, elle n’avait pu, dans la précipitation d’un si épouvantable moment, distinguer si elle avait déjà vu l’un ou l’autre ; elle ne se rappelait que les deux coups de pistolet, jusqu’à ce qu’elle se fût trouvée seule avec son hôte, et se fût aperçue qu’un des assassins s’était échappé.
Lord Glenvarloch raconta son
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