Les Aventures de Nigel
espèce de répugnance timide vis-à-vis des personnes avec lesquelles il n’était pas familier. Cette erreur ne peut être corrigée que par l’expérience et la connaissance du monde, qui donnent bientôt cette importante leçon, qu’il y a toujours quelque plaisir, et ce qui est plus important encore, quelque instruction à retirer de la conversation des personnes au milieu desquelles on se trouve jeté par le cours naturel des événemens de la vie. Quant à nous, nous pouvons le certifier au lecteur, – et peut-être, si jamais nous avons pu contribuer à le distraire un moment, le devons-nous à cela : jamais nous n’avons rencontré dans une chaise de poste un compagnon assez stupide, ou dans une voiture publique un voyageur assez borné pour ne pas en tirer, dans notre conversation avec lui, quelques idées, ou graves ou gaies, et souvent même des choses que nous serions fâchés de n’avoir point apprises, et que nous regretterions d’avoir oubliées. Mais Nigel était un peu renfermé dans la bastille de son rang, comme un certain philosophe (Tom Payne, je crois) l’a dit assez heureusement en parlant de cette espèce de réserve que les hommes de qualité sont enclins à garder, moins par le sentiment d’une morgue aristocratique que parce qu’ils ignorent jusqu’à quel point et avec qui ils peuvent être familiers. En outre, ses propres affaires étaient de nature à l’occuper exclusivement.
Il se tenait donc assis près du gouvernail, enveloppé de son manteau, et rêvant au résultat probable de l’entrevue qu’il désirait avoir avec son souverain. Cette préoccupation eût suffi pour le justifier, quoique peut-être, en questionnant le batelier qui le conduisait, il eût pu en obtenir des renseignemens très importans pour lui.
Quoi qu’il en soit, Nigel garda le silence jusqu’à ce que le bateau approchât de Greenwich ; alors il ordonna à ses deux guides de toucher au rivage, son dessein étant de mettre pied à terre, et de les congédier.
– Impossible, dit le batelier à jaquette verte qui, comme nous l’avons déjà dit, semblait jouer le rôle de maître d’équipage ; il faut que nous allions à Gravesend, où un vaisseau écossais qui a descendu la rivière tout exprès est à l’ancre pour vous attendre, et vous conduire dans votre cher pays du nord. Votre hamac y est disposé, tout est préparé pour vous y recevoir, et vous parlez de débarquer à Greenwich aussi tranquillement que si cela se pouvait.
– Je ne vois pas ce qui s’oppose, dit Nigel, à ce que vous me débarquiez où je veux ; mais je ne vois guère comment il vous sera possible de me conduire où je ne veux pas aller.
– Vraiment ! et qui donc conduira le bateau de nous ou de vous, monsieur ? demanda la jaquette verte d’un ton moitié sérieux, moitié plaisant. Je vous réponds qu’il ira où nous le conduirons.
– Oui-dà ? reprit Nigel ; et moi, je vous garantis que vous le conduirez où je le voudrai ; sinon, vous risquez fort de n’être pas payés.
– Supposez que nous voulions courir cette chance, dit le batelier sans se déconcerter, je voudrais bien savoir, quoique vous ayez le ton si fier – soit dit sans vous offenser, – comment vous feriez pour vous tirer d’affaire en pareil cas.
– Mon moyen est très simple, répondit lord Glenvarloch : vous m’avez vu il y a une heure porter jusqu’au bateau une caisse qu’aucun de vous ne pouvait soulever. S’il y avait contestation entre nous, cette même vigueur qui m’a servi pour mettre le coffre dans la barque me servirait pour vous en faire sortir. Ainsi donc, avant d’engager la lutte, je vous prie de vous rappeler que je saurai vous contraindre à me conduire partout où je voudrai aller.
– Grand merci de votre bonté, dit la jaquette verte, et à mon tour je vous ferai remarquer que mon camarade et moi nous sommes deux, et que, fussiez-vous aussi fort que George-a-Green, vous n’êtes jamais qu’un ; et que deux, vous n’en disconviendrez pas, sont une trop forte partie pour un ; ainsi, mon ami, vous vous êtes trompé dans vos calculs.
– C’est vous qui vous trompez, répondit Nigel qui commençait à s’échauffer ; c’est moi qui suis trois contre deux, coquin ! – je porte la vie de deux hommes à ma ceinture.
En disant ces mots, il ouvrit son manteau, et montra ses deux pistolets ; – le marinier les aperçut sans s’émouvoir.
– J’ai, dit-il, deux aboyeurs qui
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