Les Aventures de Nigel
quarts de taffetas noir taillées en mouches pour les courtisans.
– Mais sir Mungo Malagrowther…, répéta Nigel avec quelque difficulté.
– Oui, oui, monsieur, – sir Munko, comme vous dites, aussi aimable, aussi bon que jamais ; – vous voudriez lui parler, dites-vous ? Oh ! oui, vous lui parlerez aisément ; aussi aisément toutefois que le permettra son infirmité. À moins que quelqu’un ne l’ait invité à déjeuner, il doit être à manger sa côte de bœuf rôtie chez mon voisin Nel Kilderkin, à quelque distance de l’autre côté de la rue ; Nel donne à boire et à manger, monsieur ; il est renommé pour les côtelettes de porc ; mais sir Munko n’aime pas le porc ; pas plus que Sa Majesté le roi ni monseigneur le duc de Lennox, ni lord Dalgarno. – Ah ! je suis sûr, monsieur, que si je vous ai touché cette fois-ci, c’est votre faute et non pas la mienne. – Mais une simple goutte de mon eau et un petit morceau de taffetas pas plus gros que ce qu’il en faudrait pour habiller une puce, juste sous la moustache gauche, cela vous ira bien quand vous rirez, monsieur ; aussi bien qu’une petite fossette ; et si vous voulez saluer votre belle maîtresse ; – mais je vous demande pardon, vous êtes un gentilhomme sérieux, très-sérieux pour être si jeune. – J’espère que je ne vous ai point offensé. – C’est mon devoir de distraire mes pratiques ; – mon devoir, monsieur, et mon plaisir. – Sir Munko Malcrowther ? – Oui, monsieur, j’ose dire qu’il est en ce moment chez Nel ; car peu de personnes l’invitent, maintenant que lord Huntinglen est allé à Londres. Oui, monsieur, – vous le trouverez avec son pot de bière, qu’il remue avec une tige de romarin ; car il ne boit jamais de liqueurs fortes à moins que ce ne soit pour obliger lord Huntinglen, – faites-y attention, monsieur, – ou toute autre personne qui l’invite à déjeuner ; – mais chez Nel il ne boit jamais que de la bière avec son grillé de bœuf ou de mouton, ou peut-être encore de l’agneau dans la saison ; – mais jamais de porc, quoique Nel soit fameux pour les côtelettes de porc ; mais les Écossais ne mangent jamais de porc. – C’est une chose singulière ; quelques personnes pensent qu’ils sont une sorte de juifs : il y a bien quelque ressemblance, monsieur ; – ne le pensez-vous pas ? Ils appellent notre très-gracieux souverain un second Salomon. – Salomon, comme vous savez, était roi des Juifs : ainsi les choses ont un air de ressemblance, comme vous le voyez. – Je pense, monsieur, que vous vous trouverez maintenant coiffé à votre satisfaction. Je voudrais être jugé par la belle maîtresse de vos pensées. Je vous demande pardon ; – j’espère ne vous avoir point offensé. – Je vous en prie, consultez le miroir ; un coup de fer à cette mèche de cheveux, – Je vous remercie de votre générosité. – J’espère que j’aurai votre pratique tant que vous demeurerez à Greenwich. Voudriez-vous entendre un air de cette guitare pour mettre de l’accord dans votre caractère pendant tout le jour ? ting, tan, tong, ting, tang, dillo ! – Elle n’est pas trop d’accord ; il y a tant de mains qui y touchent ! – nous ne pouvons pas garder ces choses-là comme des artistes. Permettez-moi de vous aider à remettre votre manteau, monsieur. – Oui, monsieur, auriez-vous quelque envie d’en toucher vous-même, monsieur ? – Le chemin qui conduit à l’auberge de sir Munko ? – Oui, monsieur ; mais c’est l’auberge de Nel, et non pas de sir Munko. – Le chevalier à coup sûr y mange, et c’est pour cela qu’on peut en un certain sens l’appeler son auberge. Monsieur, – ah ! ah ! cette maison se trouve là-bas, de l’autre côté de la rue ; des poteaux nouvellement blanchis et des volets rouges. – Un gros homme en pourpoint sur la porte : – c’est Nel lui-même, monsieur, – riche de plus de mille livres, à ce qu’on dit. – On gagne plus d’argent à flamber une tête de porc qu’à coiffer un courtisan. – Mais notre profession est beaucoup moins mécanique. – Adieu, monsieur. J’espère avoir votre pratique. En disant ces mots, il laissa enfin partir Nigel, dont les oreilles, si long-temps tourmentées de son intarissable babil, retentissaient encore lorsqu’il eut fini, comme si une cloche les avait assourdies.
À son arrivée à l’auberge, où il espérait rencontrer sir Mungo
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