Les Aventures de Nigel
jamais vous vous querellez avec un Écossais, mon brave homme, dites de lui autant de mal que vous le voudrez, mais ne dites rien de son patron ou de ses compatriotes, si vous ne voulez pas qu’un claymore fasse connaissance avec votre peau.
– Et si vous continuez à m’insulter devant ma porte encore deux minutes, répondit John Christie, j’appellerai un constable, et je vous ferai voir si les fers d’Angleterre vont bien à des jambes écossaises.
En disant ces mots, il se retourna pour rentrer dans sa boutique avec un certain air de triomphe ; car son ennemi, quel que pût être son courage réel, ne manifesta aucun désir de pousser les choses à l’extrémité, persuadé peut-être que, quelque avantage qu’il pût obtenir dans un combat singulier contre John Christie, il serait plus que balancé par les désagrémens d’avoir affaire aux autorités de la vieille Angleterre : celles-ci, en effet, n’étaient pas fort disposées à se montrer favorables à ses concitoyens dans les fréquentes querelles survenant entre les individus de ces deux orgueilleuses nations, qui conservaient encore un sentiment plus profond de leur ancienne animosité que de leur réunion récente sous le gouvernement du même prince.
Mistress Marthe Trapbois avait habité trop long-temps dans l’Alsace pour être surprise ou effrayée de l’altercation qui venait d’avoir lieu ; elle s’étonna seulement que le débat ne finît point par un acte de violence, comme cela serait arrivé dans le sanctuaire. Lorsqu’ils se furent séparés, persuadée que cette querelle n’avait d’autre motif que les scènes de la même nature dont elle avait été journellement témoin, elle n’hésita pas à arrêter M. Christie, et à lui présenter la lettre que lord Glenvarloch lui avait donnée. Si elle eût mieux connu ses habitudes, elle aurait certainement attendu un moment plus calme ; et elle eut tout lieu de se repentir de sa précipitation, lorsque, sans prendre la peine de lire autre chose que la signature de la lettre, le marchand furieux la jeta par terre, la foula aux pieds, et sans dire un seul mot à la personne qui la lui remettait, mais non sans prononcer une espèce de jurement de malédiction, il se retira dans sa boutique et en ferma la porte.
Ce fut avec une douleur inexprimable que la malheureuse Marthe, sans secours, sans appui, vit ainsi la seule espérance de protection qui lui restait s’évanouir encore une fois, sans pouvoir en comprendre le motif ; car pour lui rendre justice, l’idée que son ami qu’elle ne connaissait que sous le nom de Nigel Grahame l’avait trompée, pensée qui se fût présentée à toute autre personne dans sa situation, ne s’offrit point à son esprit. Quoiqu’il ne fût pas dans son caractère de descendre facilement aux prières, cependant elle ne put s’empêcher de s’écrier : – Mais, mon bon monsieur, écoutez-moi un seul instant, par pitié, par bonté, écoutez-moi.
– De la pitié, de la bonté de sa part ! mistress, dit l’Écossais qui, quoiqu’il n’eût point essayé de troubler la retraite de son antagoniste, était pourtant encore en possession du champ de bataille : – vous tireriez plutôt de l’eau-de-vie d’une tige de fève, ou du lait d’un rocher : cet homme est fou, fou à lier, vous dis-je.
– Je me suis sans doute trompée sur la personne à qui la lettre était adressée ; et en disant ces mots, mistress Marthe Trapbois se baissait pour relever la lettre. L’Écossais, par un mouvement de civilité naturelle, la prévint ; mais, ce qui n’était pas tout-à-fait aussi poli, il jeta sur le papier un regard furtif au moment où il le lui présentait, et ayant aperçu la signature, il dit avec surprise : – Glenvarloch ! – Nigel Olifaunt de Glenvarloch ! – Connaissez-vous lord Glenvarloch, mistress ?
– Je ne sais de qui vous parlez, dit mistress Marthe d’un ton chagrin ; je tiens ce papier d’un M. Nigel Grahame.
– Nigel Grahame ? – Hem ? – Oh ! oui, c’est vrai ; – j’avais oublié, dit l’Écossais ; – un grand jeune homme bien planté, à peu près de ma taille, de grands yeux bleus comme un épervier, un parler agréable, un peu d’accent du nord, mais très peu, parce qu’il a long-temps habité les pays étrangers ?
– Tout cela est vrai. – Mais où voulez-vous en venir ? dit la fille de l’avare.
– Des cheveux de la couleur des miens ?
– Les vôtres sont
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