Les Aventures de Nigel
péché.
– De par tous les diables ! voisin, dit le roi en rougissant, vous n’êtes pas timide. Je vous permets de parler franchement, et, en conscience, vous ne laissez pas tomber le privilège non utendo {130} , – Il ne souffrira aucune prescription négative entre vos mains. Est-il convenable, selon vous, que Bambin Charles fasse connaître publiquement ses pensées ? – Non, non : les pensées des princes sont arcana imperii ; – qui nescit dissimulare nescit regnare {131} . Tout sujet fidèle est obligé de dire toute la vérité au roi, mais il n’y a aucune réciprocité d’obligation ; – et quant à Steenie, qui a été dans le temps un sauteur de haies, est-ce à vous qui êtes son orfèvre, et à qui sans doute il fait attendre une somme qu’il est hors d’état de payer, à lui jeter cela au nez ?
Heriot ne se sentait pas appelé à jouer le rôle de Zénon, et à se sacrifier pour soutenir la cause de la vérité, et de la morale ; il ne l’abandonna cependant pas en désavouant ses paroles, mais il exprima simplement le regret d’avoir offensé Sa Majesté, ce dont l’indulgence du roi parut satisfaite.
– Maintenant, Geordie, reprit-il, allons rejoindre l’accusé, et entendre sa défense ; car je veux que l’affaire soit éclaircie aujourd’hui. Vous viendrez avec moi ; on peut avoir besoin de votre témoignage.
Le roi conduisit Heriot, en conséquence, dans un appartement plus vaste, où le prince, le duc de Buckingham et un ou deux conseillers privés étaient assis à une table devant laquelle se tenait lord Dalgarno, avec l’air de la plus grande indifférence et de l’aisance la plus élégante qu’il fût possible d’avoir, eu égard au costume guindé et aux mœurs de ce temps.
Tous se levèrent et s’inclinèrent respectueusement ; et le roi, pour me servir d’un mot écossais qui exprime l’habitude qu’il avait de toujours remuer en marchant {132} fut se placer, en se dandinant, dans son fauteuil ou trône, en faisant signe à Heriot de se tenir derrière lui.
– Nous espérons, dit Sa Majesté, que lord Dalgarno est prêt à faire justice à cette dame infortunée, ainsi qu’à son propre caractère et à son honneur ?
– Oserai-je demander quel serait le châtiment, dit lord Dalgarno, dans le cas où malheureusement je trouverais impossible de satisfaire aux ordres de Votre Majesté ?
– Le bannissement de notre cour, milord, répondit le roi ; de notre cour et de notre présence.
– Que je gémisse dans l’exil ! reprit lord Dalgarno avec le ton d’une timide ironie. – J’emporterai au moins le portrait de Votre Majesté avec moi, car je ne verrai jamais un roi qui puisse lui être comparé.
– Et le bannissement de notre royaume, milord ! dit le prince avec sévérité.
– Cela ne pourra avoir lieu que dans les formes légales, n’en déplaise à Votre Altesse Royale, dit Dalgarno en affectant un profond respect ; je n’ai pas ouï dire qu’il y eût aucun statut qui nous forçât, sous peine d’un tel châtiment, à épouser toutes les femmes avec lesquelles nous pourrions faire des folies. Peut-être Sa Grâce le duc de Buckingham est-il mieux instruit ?
– Vous êtes un infame, Dalgarno, dit le favori aussi altier que violent.
– Fi ! milord, fi donc ! Parler ainsi à un prisonnier, et en présence de notre royal et paternel patron, dit lord Dalgarno. Mais je couperai court à cette délibération. J’ai examiné l’état des biens et propriétés d’Erminia Pauletti, fille du feu noble, – oui, il est traité de noble, ou je lis mal, – Giovanni Pauletti, de la maison de Sansovino à Gênes, et de la non moins noble lady Moud Olifaunt, de la maison Glenvarloch. Ainsi, je déclare que je suis lié par un contrat antérieur fait en Espagne avec cette noble dame, et qu’il s’est passé entre nous certaine prælibatio matrimonii. Maintenant qu’exige de plus de moi cette grave assemblée ?
– Que vous répariez l’outrage infâme dont vous vous êtes rendu coupable envers la dame, en l’épousant dans l’espace d’une heure, dit le prince.
– Oh ! avec là permission de Votre Altesse Royale, répondit Dalgarno, j’ai une légère parenté avec un vieux comte qui se dit mon père, et dont l’avis peut être nécessaire dans l’affaire. Hélas ! tout fils n’a pas le bonheur d’avoir un père obéissant.
Dalgarno hasarda un léger coup d’œil vers le trône, pour faire
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