Les Aventures de Nigel
comprendre le sens de ses dernières paroles.
– Nous avons parlé nous-même à lord Huntinglen, dit le roi, et nous sommes autorisé à consentir en son nom.
– Je ne me serais jamais attendu à cette intervention d’un proxenata (expression que le vulgaire traduit par celle d’entremetteur) d’un rang si éminent, dit Dalgarno, ayant peine à cacher un rire moqueur. Et mon père a consenti ? Il avait coutume de dire, avant notre départ de l’Écosse, que le sang des Huntinglen et celui des Glenvarloch ne pourraient se mêler quand même on les verserait dans le même bassin. Peut-être a-t-il envie d’en faire l’expérience.
– Milord, dit Jacques, trêve à vos plaisanteries. Voulez-vous à l’instant, et sine morâ, épouser cette dame dans notre chapelle ?
– Statim atque instanter {133} , répondit lord Dalgarno ; car je vois qu’en agissant ainsi je me mettrai à portée de rendre de grands services à l’État. J’acquerrai des richesses pour subvenir aux besoins de Votre Majesté, et une femme pour être à la disposition de Sa Grâce le duc de Buckingham.
Le duc se leva, passa au bout de la table où se tenait lord Dalgarno, et lui dit tout bas à l’oreille :
– Vous avez déjà mis une sœur charmante à ma disposition.
Cette raillerie changea complètement l’air de tranquillité qu’avait pris lord Dalgarno. Il tressaillit comme s’il avait été mordu par un serpent ; mais il se remit aussitôt, et, fixant sur les traits du duc, encore animés par un sourire, des yeux qui exprimaient toute sa haine, il mit l’index de sa main gauche sur la garde de son épée, mais de manière à ce que Buckingham seul pût s’en apercevoir. Le duc lui répondit par un autre sourire de mépris, et retourna à son siège pour obéir aux ordres du roi, qui ne cessait de s’écrier : – Asseyez-vous, Steenie, asseyez-vous ! je vous l’ordonne. Nous ne voulons pas de plaisanterie ici.
– Votre Majesté n’a pas à craindre que je manque de patience, dit lord Dalgarno ; et afin de mieux la conserver, je ne prononcerai d’autres mots en sa présence que ceux qui me sont prescrits dans cette heureuse partie du Livre de prières qui commence par ma bien-aimée , et finit par é tonnement {134} .
– Vous êtes un méchant endurci, Dalgarno, dit le roi ; et si j’étais la jeune dame, sur l’ame de mon père ! j’aimerais mieux souffrir la honte d’avoir été votre concubine que de courir le risque de devenir votre femme ; mais elle sera sous notre protection spéciale. Allons, milord, nous verrons nous-même cette joyeuse noce. Le roi donna le signal de se lever, et se dirigea vers la porte, accompagné de sa suite. Lord Dalgarno suivait, ne parlant à personne, et sans que personne lui adressât la parole, avec autant d’aisance et aussi peu d’embarras dans sa démarche que s’il eût été réellement un époux au comble de ses vœux.
Ils arrivèrent dans la chapelle par une entrée particulière qui communiquait à l’appartement du roi. L’évêque de Winchester, dans son costume pontifical, était debout du côté de l’autel ; de l’autre, soutenue par Monna Paula, était lady Hermione, ou Erminia Pauletti, pâle, faible et presque inanimée. Lord Dalgarno s’inclina profondément devant elle ; et le prince, remarquant l’horreur avec laquelle elle le regardait, s’avança, et lui dit avec beaucoup de dignité ; – Madame, avant de vous mettre sous l’autorité de cet homme, permettez-moi de vous informer qu’il a rendu justice à votre honneur de la manière la plus complète en tout ce qui a rapport à votre précédente liaison. C’est à vous de voir si vous placerez votre fortune et votre bonheur entre les mains d’un homme qui s’est montré indigne de toute confiance.
Lady Hermione trouva avec beaucoup de difficulté la force de répondre. – Je suis redevable à la bonté de Sa Majesté, dit-elle, du soin qu’elle à pris de me réserver une partie de ma fortune pour pouvoir vivre décemment ; le reste ne peut être mieux employé qu’à racheter la bonne réputation dont je suis privée, et la liberté de terminer mes jours dans la paix et la retraite.
– Le contrat a été rédigé sous nos yeux, dit le roi ; nous avons pris soin particulièrement de détruire la potestas maritalis, et de stipuler que les époux vivraient séparés ; ainsi unissez-les, milord évêque, aussi vite que vous le pourrez, afin qu’ils
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