Les Aventures de Nigel
décent. Ainsi, milords, nous questionnâmes nous-même cette jeune fille, déguisée en homme, et j’avoue que ce fut un interrogatoire charmant et bien suivi. Elle avoua d’abord qu’elle avait pris ce déguisement afin de faire respecter la femme qui devait nous présenter la pétition de lady Hermione, pour qui elle professait une entière affection : soupçonnant anguis in herbâ {138} , nous la mîmes au pied du mur ; elle fut forcée d’avouer un attachement vertueux pour Glenvarlochides, avec une si gracieuse expression de honte et de timidité, que nous eûmes beaucoup de peine à nous retenir pour ne pas joindre nos larmes aux siennes. Elle nous dévoila aussi les viles intrigues de ce Dalgarno contre Glenvarlochides, qu’il attirait dans des maisons de mauvaise compagnie, et à qui il donnait de mauvais conseils sous le voile d’une sincère amitié, ce qui a conduit ce jeune homme sans expérience à agir d’une manière préjudiciable à lui-même, et outrageante pour nous. Mais quelle que fût sa gentillesse à nous débiter son histoire, nous résolûmes de ne pas nous en rapporter entièrement à son récit, et de faire l’épreuve que nous avions imaginée pour de semblables occasions. Nous transportant sur-le-champ de Greenwich à la Tour, nous nous mîmes aux écoutes, comme on dit, afin d’observer ce qui se passerait entre Glenvarlochides et ce page, que nous fîmes placer dans son appartement, pensant bien que s’ils étaient tous les deux de concert pour nous tromper, ils en laisseraient échapper quelque chose. – Et que croyez-vous que nous avons vu, milords ? – Rien qui puisse vous donner sujet à rire ni à railler, Steenie ; car je doute que vous eussiez joué le rôle décent et vraiment chrétien de ce pauvre Glenvarloch. Ce serait un père de l’Église en comparaison de vous. – Et alors, pour mettre sa patience plus à l’épreuve, nous lâchâmes sur lui un courtisan et un citadin, c’est-à-dire sir Mungo Malagrowther et notre serviteur George Heriot, ici présent, qui tourmentèrent le pauvre garçon de toutes les manières, et n’épargnèrent pas beaucoup notre royale personne. – Vous savez, Geordie, ce que vous avez dit à propos de femmes et de concubines ? Mais je vous le pardonne. – Il n’est pas besoin de vous agenouiller, je vous pardonne, – d’autant plus volontiers que cela se rapporte à une chose qui ne fait pas grand honneur à Salomon, et dont par conséquent l’absence ne saurait nous être reprochée. Hé bien, milords, malgré toutes sortes de tourmens et de mauvais exemples, ce pauvre garçon n’a jamais délié sa langue pour dire contre nous une parole inconvenante. – Ce qui m’engage d’autant plus, agissant toujours d’après vos sages avis, à traiter cette affaire du parc comme une chose faite dans un moment d’emportement, après de vives provocations, et par conséquent à accorder notre pardon absolu à lord Glenvarloch.
– Je suis charmé, dit le duc de Buckingham, que Votre Gracieuse Majesté soit arrivée à cette conclusion, quoique je ne l’eusse jamais deviné d’après la route qu’elle a prise.
– J’espère, dit le prince Charles, que Votre Majesté ne croira pas conforme à sa dignité de suivre souvent cette marche.
– Jamais de ma vie, Bambin Charles, je vous en donne ma parole royale. On dit que les écouteurs sont souvent mal payés de leur curiosité : – sur mon ame, les oreilles me cornent encore des sarcasmes de ce vieux sir Mungo. Il nous a reproché d’être avare, Steenie. – Certainement vous pouvez lui donner un démenti ; mais c’est pure envie de la part du vieil invalide, parce qu’il n’a pas un noble à mettre dans la paume de sa main ; et les doigts lui manqueraient d’ailleurs pour le tenir. Ici le roi fut si charmé de l’esprit qu’il montrait, qu’il en oublia l’irrévérence de sir Mungo ; et il se contenta d’ajouter : – Nous donnerons au vieux grondeur bos in linguam – quelque chose pour arrêter sa langue, ou il nous tournerait en ridicule depuis Dan jusqu’à Beersheba {139} . – Maintenant, milords, que notre lettre de grâce soit expédiée de suite à lord Glenvarloch, et qu’il soit mis en liberté ; et, comme ses biens vont probablement prendre un mauvais chemin, nous réfléchirons aux témoignages de faveur que nous pourrons lui donner. – Milords, je vous souhaite bon appétit pour le souper, et je désire qu’il ne se fasse pas
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