Les Aventures de Nigel
attendre, car nos travaux nous ont conduits bien tard… – Bambin Charles et Steenie, vous resterez jusqu’à notre coucher. – Milord évêque, vous voudrez bien attendre pour bénir notre repas. – Geordie Heriot, j’ai un mot à vous dire à part.
Sa Majesté prit alors le citadin dans un coin, tandis que les conseillers, excepté ceux qui avaient reçu l’ordre de rester, firent leur révérence et se retirèrent. – Geordie, dit le roi, mon bon et fidèle serviteur, – ici il se mit à jouer avec les aiguillettes et les rubans de son pourpoint, – vous voyez que nous avons accordé, d’après l’impulsion naturelle de notre raison et de notre justice, ce que ce grand drôle de Moniplies, je crois qu’on l’appelle ainsi, a offert de nous acheter moyennant un riche présent ; nous avons dû le refuser en notre qualité de roi couronné, qui ne consentira jamais à vendre sa justice ni son pardon pour des considérations pécuniaires. Maintenant quelle pensez-vous devoir être l’issue de tout ceci ?
– La liberté de lord Glenvarloch, et sa rentrée en grâce auprès de Votre Majesté, dit Heriot.
– Je sais cela, dit le roi avec humeur. Vous êtes bien sourd aujourd’hui. Je vous demande votre opinion sur ce que ce drôle de Moniplies pourra penser de l’affaire ?
– Sûrement, que Votre Majesté est un très-bon et très-gracieux souverain, répondit Heriot.
– Nous avons besoin d’être bon et gracieux, dit le roi avec encore plus d’humeur, quand nous avons autour de nous des idiots qui ne peuvent comprendre ce que nous pensons, à moins que nous ne le disions positivement en bon anglais. Voyez ce drôle de Moniplies, monsieur, et dites-lui ce que nous avons fait pour lord Glenvarloch, à qui il prend un si grand intérêt, de notre propre et gracieux mouvement, quoique nous ayons refusé de le faire pour aucun avantage particulier. Alors, vous pourriez lui demander, comme de vous-même, si la reconnaissance et même le devoir lui permettent maintenant d’insister auprès de nous pour le paiement actuel de deux ou trois cents malheureuses livres pour le prix desquelles nous avons été obligé d’engager nos joyaux ? En effet, on penserait généralement que vous agissez en bon citoyen si vous preniez sur vous-même de lui refuser ce paiement, puisqu’il a eu ce qu’il regardait comme une satisfaction entière, et qu’en outre il n’a évidemment aucun besoin pressant d’argent, tandis que nous en sommes, disait-il, dans une grande disette.
George Heriot gémit intérieurement. – Ô mon maître ! pensa-t-il, mon cher maître ! il est donc écrit que vous n’aurez jamais aucun sentiment noble et bienveillant sans qu’il soit terni par quelque arrière-pensée d’égoïsme et d’intérêt ?
Le roi ne s’inquiéta nullement de ce que Heriot pensait ; mais, le prenant par le collet, il dit : – Vous m’avez compris maintenant, Tin-tin, retirez-vous : vous êtes un homme sage ; gardez votre sagesse pour vous, mais n’oubliez pas nos embarras actuels. Le citadin fit la révérence, et se retira.
– Hé bien ! enfans, dit le roi, pourquoi vous regardez-vous comme cela tous les deux ? qu’est-ce que vous avez à demander à votre cher papa et à votre patron ?
– Seulement, dit le prince, qu’il plaise à Votre Majesté d’ordonner que la cachette de la prison soit fermée immédiatement : – les gémissemens d’un captif ne doivent pas servir de témoignage contre lui.
– Quoi ! faire fermer mon oreille, Bambin Charles ? En effet, il vaut mieux être sourd que d’entendre mal parler de soi. Ainsi qu’on la fasse fermer, sans tarder ; d’autant plus que j’ai le dos brisé d’y être resté pendant une heure. – Maintenant, voyons ce que les cuisiniers ont fait pour nous, mes bons enfans.
CHAPITRE XXXIV.
« Le chevalier va trouver ce digne homme ;
« C’était la perle et la fleur du barreau.
« En arrivant, il vit sur son bureau
« Force papiers, argent en abondance,
« Pour avertir tous ses cliens d’avance
« Qu’on n’avait pas un avis sans payer. »
HUDIBRAS.
Notre lecteur se souviendra peut-être d’un certain scribe écossais à paroles mielleuses, mal peigné, et vêtu de bougran, qui, dans le commencement de cet ouvrage, est représenté comme un protégé de George Heriot. C’est dans sa maison que nous allons nous rendre ; mais les temps ont bien changé pour lui. Le triste chenil est devenu
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