Les Aventures de Nigel
répondit le jeune lord avec un air de résignation ; car il savait que son domestique était comme ces chevaux auxquels l’éperon ne peut faire changer de pas. Vous avez assez souffert dans la mission dont vous avez été chargé, pour avoir droit d’en faire le récit à votre manière. Seulement dites-moi le nom de l’ami qui devait vous introduire en la présence du roi. Vous avez eu un air de mystère à ce sujet, quand vous avez entrepris de faire remettre ma supplique dans les propres mains de Sa Majesté, par son intervention, puisque toutes celles que j’ai envoyées jusqu’ici sont restées dans les mains de son secrétaire, comme j’ai tout lieu de le croire.
– Hé bien, milord, si je ne vous ai pas dit d’abord son nom et sa qualité, c’est parce que je craignais que vous fussiez mécontent qu’un homme comme lui se mêlât des affaires de Votre Seigneurie ; mais à la cour il y a bien des gens qui emploient de plus mauvaises échelles pour monter. Au surplus, c’est Laurie Linklater, un des yeomen de la cuisine, qui était autrefois apprenti chez mon père.
– Un yeoman de la cuisine ! Quelque marmiton sans doute ! s’écria lord Nigel en se promenant à grands pas dans la chambre avec un air d’humeur.
– Mais faites attention, milord, dit Richie sans se déconcerter, que tous vos grands amis se tiennent en arrière, semblent vous fuir, et qu’aucun d’eux n’a voulu se charger d’appuyer votre juste demande. Bien certainement, à cause de Votre Honneur, à cause de moi, et à cause de lui-même, car c’est un garçon serviable, je voudrais que Laurie eût une place plus élevée ; mais Votre Seigneurie doit faire attention qu’un marmiton, si marmiton peut se dire d’un yeoman de la très-royale cuisine du roi, a droit de se placer au même rang qu’un cuisinier en chef de toute autre maison ; car, comme je vous l’ai déjà dit, le son du roi vaux mieux…
– Vous avez raison, dit lord Nigel ; c’est moi qui avais tort. N’ayant pas le choix des moyens à employer pour faire valoir mes droits, il n’est pas de voie à laquelle je ne puisse recourir, pourvu qu’elle soit honnête.
– Et Laurie, dit Richie, est un aussi honnête garçon que qui que ce soit qui ait jamais manié l’écumoire. Ce n’est pas que je veuille dire qu’il ne puisse lécher ses doigts comme les autres, mais où est le grand mal ? Enfin, car, je vois que Votre Honneur s’impatiente encore, Laurie me conduisit au palais, où tout était en l’air parce que le roi allait partir pour aller à la chasse à Black-Heath, du moins c’est le nom que j’ai cru entendre. Et il y avait un cheval superbement enharnaché, le plus beau cheval gris que jamais cavale ait mis bas, avec la selle, les étriers, le mors et la gourmette d’or bien luisant, ou d’argent bien doré tout au moins. Enfin, milord, le roi arriva avec tous ses nobles vêtus d’habits de chasse de drap vert, brodés et galonnés en or. Je me rappelais sa figure, quoiqu’il y eût long-temps que je ne l’eusse vu. Par ma foi, mon garçon, pensai-je, les temps sont bien changés depuis le jour où vous vous sauviez sur l’escalier du vieux palais d’Holyrood, mourant de peur, en tenant en mains vos culottes, parce que vous n’aviez pas eu le temps de les mettre, et que Frank Stuart, l’enragé comte Bothwell, était sur vos talons ; et si le vieux lord Glenvarloch n’eût entouré son bras de son manteau, et reçu plus d’une blessure pour vous donner le temps de fuir, vous ne chanteriez pas si haut aujourd’hui. Pensant ainsi, je ne pus m’empêcher de croire que la supplique de Votre Seigneurie ne pouvait manquer de lui être agréable, et je me faufilai tout au beau milieu des lords. Laurie crut que je perdais l’esprit, et voulut me retenir par le collet de mon habit, tant et si bien qu’il lui resta dans la main. Je me trouvai donc en face du roi, comme il montait à cheval, et je lui mis en main la surplique. Il l’ouvrit d’un air surpris, et, pendant qu’il lisait la première ligne, il me vint à l’idée que je devais le saluer ; mais, par malheur, le bout de mon bonnet frappa le nez de sa coquine de bête ; la créature s’effaroucha et regimba ; et le roi, qui se tient à cheval à peu près comme une paire de pincettes, fut sur le point de perdre la selle, ce qui m’aurait mis en risque d’avoir le cou allongé. Alors il jeta le papier par terre et s’écria : Qu’on me
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