Les Aventures de Nigel
balourdise au grand jour ; accordez-moi assez de crédit auprès de vous pour servir de caution à ses épaules. Vous avez sujet d’être irrité, mais je crois que la tête de ce drôle est plus coupable que son cœur, et je réponds qu’une autre fois il vous servira mieux si vous lui pardonnez cette faute. – Retirez-vous, drôle, je ferai votre paix avec votre maître.
– Non, non, dit Moniplies conservant son terrain fermement ; s’il lui plaît de battre un serviteur qui l’a suivi par pure amitié, car, depuis que nous sommes partis d’Écosse, je crois qu’il n’a guère été question de gages entre nous… – Hé bien ! que milord en passe son envie, et qu’il voie ce qu’il y gagnera. Je ne vous en remercie pas moins, maître Georges ; mais j’aime mieux tâter du bâton de mon maître que de voir un étranger se mettre entre nous deux.
– Allez-vous-en donc, lui dit son maître, et ôtez-vous de mes yeux.
– Cela sera bientôt fait, répondit Moniplies en se retirant à pas lents ; je ne suis venu que parce que vous m’avez appelé, et il y a une demi-heure que je serais parti bien volontiers, sans les questions de maître Georges, qui ont causé tout ce tapage.
Il sortit en murmurant ainsi, du ton boudeur d’un homme surpris de recevoir des reproches quand il aurait le droit d’en faire.
– Personne a-t-il jamais eu un valet si impudent ? s’écria lord Nigel. Le drôle ne manque pas d’adresse, et je l’aitrouvé fidèle. Je crois qu’il m’est attaché, car il m’en a donné des preuves ; mais il a une si bonne opinion de lui-même, il est si opiniâtre, et tient si fortement à ses idées, qu’il semble quelquefois qu’il soit le maître et que je sois le serviteur. Quelque sottise qu’il fasse, il ne manque jamais de se plaindre comme si toute la faute était à moi et non à lui.
– N’importe, milord, gardez-le précieusement à votre service. Croyez-en mes cheveux gris, l’affection et la fidélité sont des qualités plus rares aujourd’hui dans un serviteur que lorsque le monde était moins vieux. – Et cependant ne lui confiez pas de missions au-dessus de sa naissance et de son éducation, car vous voyez vous-même ce qui peut en résulter.
– Cela n’est que trop évident, maître Heriot, et je suis fâché d’avoir été injuste à l’égard de mon souverain, de votre maître. Mais, en véritable Écossais, je suis sage quand il est trop tard. La bévue a été commise. Ma supplique a été refusée. Il ne me reste qu’à me servir de mes dernières ressources pour me transporter avec Moniplies en pays étranger, chercher quelque brèche, et mourir les armes à la main comme l’ont fait mes ancêtres.
– Il vaudrait mieux vivre pour servir votre patrie, comme votre noble père, milord ! Ne baissez pas les yeux, ne secouez point ainsi la tête : le roi n’a pas rejeté votre supplique, car il ne l’a pas vue. Vous ne demandez que justice, et il la doit à tous ses sujets. Oui, milord, et j’ajoute même que ses désirs sont d’accord à cet égard avec son devoir.
– Je serais charmé de pouvoir le croire, et cependant… je ne parle pas des injustices que j’ai éprouvées, mais mon pays a souffert plus d’un tort qu’on n’a pas encore redressé.
– Milord, je parle du roi mon maître, non-seulement avec le respect que lui doit un sujet, et avec la reconnaissance d’un serviteur qu’il a favorisé, mais avec la franchise d’un Écossais libre et loyal. Le roi est disposé par lui-même à maintenir dans un parfait équilibre la balance de la justice ; mais il a autour de lui des gens qui savent jeter en secret leurs désirs et leur intérêt dans un des bassins. Vous en avez déjà été victime, et sans vous en douter.
– Après une si courte connaissance, maître Heriot, je suis surpris de vous entendre parler comme si vous étiez parfaitement au courant de toutes mes affaires.
– Milord, répondit l’orfèvre, la nature de mon commerce me donne un accès libre dans l’intérieur du palais. On sait que je ne me mêle en rien des intrigues et des menées d’aucun parti, et, par conséquent, aucun favori n’a encore cherché à me fermer la porte du cabinet du roi : au contraire, j’ai été bien avec chacun d’eux tant qu’il a été en place, et aucun d’eux ne m’a entraîné dans sa chute. Mais je ne puis avoir des relations si fréquentes avec la cour sans apprendre, que je le veuille ou
Weitere Kostenlose Bücher