Les Aventures de Nigel
Cité, nous sommes des gens prudens et circonspects, et je me perdrais de réputation partout où l’on peut entendre le son des cloches de Saint-Paul, si je recevais une obligation et si je signais ensuite une quittance pour une somme qui n’aurait pas été bien et réellement comptée, nombrée et délivrée. – Voyez, je crois qu’il n’y manque rien. – Mais, ajouta-t-il en regardant par la fenêtre, je vois qu’on m’amène ma mule, car il faut que j’aille à Westward-Hoe. Serrez votre argent, milord : il n’est pas prudent de laisser gazouiller de ces chardonnerets-là autour de soi dans un appartement garni, à Londres. Votre coffre-fort n’a peut-être pas une serrure de sûreté ; si cela est, je puis vous en fournir à bon marché un qui a contenu bien des mille livres. Il appartenait au bon vieux sir Faithful Frugal : son dissipateur de fils a vendu la coquille après avoir mangé la noix, et telle est la fin des fortunes de la Cité.
– J’espère que la vôtre en fera une meilleure, maître Heriot, dit le jeune lord.
– Je l’espère aussi, milord, répondit le vieillard en souriant ; mais, pour me servir d’une phrase de l’honnête John Bunyan {26} , ajouta-t-il les larmes aux yeux, il a plu à Dieu de m’éprouver par la perte de deux enfans, il ne m’en reste qu’un adoptif. Hélas ! le bonheur est bien voisin du malheur ! Mais je suis résigné, et reconnaissant des faveurs que le ciel a bien voulu m’accorder. Je ne manquerai pas d’héritiers tant qu’il se trouvera des orphelins dans Auld-Reekie {27} . – Je vous souhaite le bonjour, milord.
– Il en existe déjà un qui vous doit des remerciemens, dit lord Nigel en le reconduisant jusqu’à la porte de sa chambre ; et ce ne fut pas sans quelque difficulté que le vieillard l’empêcha de le suivre jusqu’à celle de la rue.
Au bas de l’escalier, il passa par la boutique où dame Nelly le salua de la tête, et il lui demanda des nouvelles de son mari. Elle regretta qu’il fût absent : mais il était allé à Deptford, dit-elle, pour régler un compte avec le maître d’un bâtiment hollandais.
– Le genre de nos affaires, monsieur, ajouta-t-elle, l’oblige à s’absenter souvent. Il faut qu’il soit aux ordres du premier matelot qui a seulement besoin d’une livre d’étoupes.
– Il ne faut rien négliger en affaires, bonne dame, dit l’orfèvre. Faites mes complimens, – les complimens de Georges Heriot, de Lombard-Street, à votre mari. – J’ai fait des affaires avec lui : il est juste et ponctuel, exact à remplir ses engagemens. Ayez des égards pour votre noble hôte, et veillez à ce que rien ne lui manque. Quoiqu’il lui plaise de vivre en ce moment retiré et solitaire, il ne manque pas de gens qui s’intéressent à lui, et je suis chargé de veiller à ce que rien ne lui manque. Ainsi vous pouvez me faire donner par votre mari des nouvelles de milord, et m’informer s’il a besoin de quelque chose.
– Et c’est donc véritablement un lord, après tout ? Je m’en étais toujours douté à sa mine. Mais pourquoi ne va-t-il pas au parlement ?
– Il ira au parlement d’Écosse, au parlement de son pays.
– Oh ! ce n’est donc qu’un lord écossais ! et c’est pourquoi il est honteux d’en prendre le titre, comme on dit.
– Qu’il n’aille pas vous entendre parler ainsi ?
– Qui ? moi ! une telle pensée ne me vient guère. Anglais ou Écossais, c’est un homme civil et avenant, et plutôt que de le laisser manquer de rien, je le servirais moi-même, et j’irais jusque dans Lombard-Street pour vous en donner avis.
– Que ce soit votre mari qui vienne me trouver, répondit l’orfèvre, qui, avec toute son expérience et la bonté de son cœur, était un peu formaliste, et tenait aux vieux usages : le proverbe dit que la maison s’en va quand les femmes courent ; et laissez servir milord dans sa chambre par son valet, cela sera plus convenable. Adieu, bonne dame.
– Adieu, monsieur, répondit dame Nelly d’un air assez froid. Et dès qu’il fut assez éloigné pour ne plus l’entendre : – Qui vous demande des avis, s’écria-t-elle d’un ton un peu aigre, vieux chaudronnier écossais que vous êtes ? Mon mari est aussi avisé et presque aussi vieux que vous, et s’il est content, c’est ce qu’il me faut ! Quoiqu’il ne soit pas tout-à-fait aussi riche que certaines gens, j’espère le voir un jour tout comme eux
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