Les Aventures de Nigel
non, quels rouages on y fait mouvoir, et comment on s’y prend pour en accélérer ou en retarder le mouvement. Il est tout simple que, lorsque je veux savoir quelque chose, je connaisse les sources auxquelles je dois m’adresser. Je vous ai dit pourquoi je prends intérêt aux affaires de Votre Seigneurie. Ce n’est qu’hier soir que j’ai appris que vous étiez en cette ville, et, avant de venir ici ce matin, j’ai déjà obtenu quelques renseignemens sur les obstacles qui s’opposent à la réussite de votre demande.
– Je vous remercie d’un zèle que je n’ai guère mérité, monsieur, dit Nigel avec un reste de réserve : je ne sais pas comment j’ai pu obtenir de vous tant d’intérêt.
– Permettez-moi d’abord, milord, de vous prouver qu’il est véritable. Je ne vous blâme pas de ne pas ajouter foi sur-le-champ aux belles protestations d’un étranger, quand vous avez trouvé si peu d’amitié dans des parens, dans des hommes de votre rang, qui vous étaient attachés par tant de liens. Mais écoutez-moi bien : il existe sur les grands biens de votre père une hypothèque de quarante mille marcs, dus ostensiblement à Peregrin Peterson, conservateur des privilèges d’Écosse à Compvere.
– Je ne sais ce que c’est qu’une hypothèque, répondit le jeune lord ; mais il est vrai qu’il existe un gage, et, faute de le racheter, j’encours la perte de tous les biens de mon père, pour une somme qui ne forme pas le quart de leur valeur. C’est pour cette raison que je presse le gouvernement de Sa Majesté de me payer les sommes dues à mon père, afin de pouvoir retirer mes biens des mains d’un avide créancier.
– Un gage de cette sorte en Écosse, dit Heriot, est la même chose qu’une hypothèque de ce côté de la Tweed. Mais vous ne connaissez point encore votre véritable créancier. Le conservateur Peterson ne fait que prêter son nom à un autre, qui n’est rien moins que le lord chancelier d’Écosse ; et celui-ci espère, par le moyen de cette dette, s’approprier lui-même vos biens, ou peut-être satisfaire un tiers encore plus puissant. Il permettra probablement à sa créature Peterson de s’en mettre en possession ; et quand on aura oublié l’odieux de cette affaire, vos domaines seront transmis au grand personnage par l’officieux entremetteur, au moyen d’une vente ou de quelque autre arrangement.
– Cela est-il possible ? s’écria lord Nigel : le chancelier pleura quand je pris congé de lui, m’appela son cousin, son fils même, et me donna des lettres de recommandation. Sans que je lui eusse demandé aucune assistance pécuniaire, il me témoigna son regret de ne pouvoir m’en offrir, attendu les dépenses qu’exigeaient de lui son rang et sa nombreuse famille. – Non, je ne puis croire qu’un homme noble ait porté si loin la bassesse et la duplicité.
– Il est bien vrai que je ne suis pas noble, répondit le citadin, mais je vous dis encore une fois de regarder mes cheveux gris. Pourquoi voudrais-je les déshonorer en m’abaissant au mensonge dans une affaire qui ne peut m’intéresser que parce qu’elle concerne le fils de mon bienfaiteur ? Réfléchissez : quel avantage avez-vous retiré des lettres du chancelier ?
– Pas le moindre. – De belles paroles, des politesses froides, et voilà tout. – J’ai pensé que ceux à qui elles étaient adressées ne désiraient que de se débarrasser de moi. Cependant l’un d’eux, à qui je parlais hier de mon projet de m’expatrier, m’offrit de l’argent pour faciliter mon départ.
– Je n’en suis pas surpris : ils vous fourniraient des ailes pour fuir, plutôt que de vous voir rester.
– Je vais le trouver à l’instant, s’écria lord Nigel, et lui dire ce que je pense d’une conduite si lâche.
– J’espère que vous n’en ferez rien, dit Heriot en le retenant ; voudriez-vous, par une querelle, occasioner la ruine de celui de qui vous tenez ces détails ? Je risquerais volontiers la moitié de tout ce que contient ma boutique pour vous rendre service ; mais je crois que vous seriez fâché de me nuire sans utilité pour vous.
Le mot boutique sonna désagréablement aux oreilles du jeune lord, qui répliqua avec vivacité : – Vous nuire, monsieur ! je suis si loin de vouloir vous nuire, que je vous supplie de cesser de faire d’inutiles offres de service à un homme qu’il est impossible de servir.
– Laissez-moi faire. Vous ayez
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