Les Aventures de Nigel
David ; à demain, à midi, ne l’oubliez pas.
À ces mots il remonta sur sa mule, la mit à l’amble, et traversa Temple-Bar de ce pas lent et décent qui convenait à son importance dans la Cité, et qui permettait à son cortège de le suivre facilement à pied.
À la porte du Temple il fit une autre halte, descendit de sa mule, et entra dans une des petites boutiques qu’occupaient dans ce voisinage les écrivains publics. Un jeune homme, portant des cheveux plats qui étaient coupés ras juste au-dessus de l’oreille, s’avança vers lui en le saluant de l’air le plus humble, et en ôtant un chapeau rabattu qu’aucun signe du vieux marchand ne put le déterminer à remettre sur sa tête.
– Comment vont les affaires, André ? lui demanda le citadin.
– Assez bien, monsieur, répondit le jeune écrivain d’un air respectueux, grâce à votre protection.
– Préparez une grande feuille de papier, mon garçon ; prenez une plume neuve, et taillez-la avec soin. – Ne faites donc pas la fente si longue, André, c’est une pure perte dans votre état. Ceux qui ne font pas attention à un grain de blé n’en auront jamais un boisseau. J’ai connu un savant qui écrivait mille pages avec une même plume.
Le jeune homme écoutait les avis que lui donnait l’orfèvre sur son propre métier, d’un air de vénération et de docilité profonde.
– Avec les instructions d’un homme comme vous, monsieur, répondit-il, un pauvre homme comme moi peut espérer de faire son chemin dans le monde.
– Mes instructions sont courtes, André, et faciles à mettre en pratique ; soyez honnête, industrieux et économe, et vous acquerrez bientôt des richesses et de la considération. Copiez-moi cette supplique, copiez-la de votre plus belle main ; j’attendrai jusqu’à ce que vous ayez fini.
Le jeune homme se mit à écrire, et sa main ne quitta pas sa plume, ses yeux ne s’éloignèrent pas un instant de son papier, avant qu’il eût achevé sa tâche, à la satisfaction de celui qui l’employait. Maître Georges lui donna alors un angelot ; et lui recommandant d’avoir toujours la plus grande discrétion sur toutes les affaires qui lui étaient confiées, il remonta sur sa mule et continua son chemin le long du Strand.
Il est peut-être à propos de rappeler à nos lecteurs qu’à cette époque Temple-Bar, où passait Heriot, n’était pas fermé par cette porte cintrée qu’on y voit aujourd’hui, mais par une grille ou barrière qu’en cas d’alarme on fermait la nuit avec des chaînes. Le Strand n’était pas une rue complètement bordée de maisons des deux côtés, quoique il commençât déjà à le devenir. On pouvait encore le regarder comme une sorte de grande route qui, du côté du sud, était couverte de maisons et d’hôtels appartenant à la noblesse, dont les jardins s’étendaient jusqu’à la Tamise, avec des escaliers conduisant à la rivière pour pouvoir plus facilement entrer dans une barque ; ces édifices ont légué le nom de leurs nobles propriétaires à la plupart des rues qui conduisent maintenant du Strand à la Tamise. Le côté du nord offrait aussi un très-grand nombre de maisons, et par-derrière, comme dans Saint-Martin’s-Lane et dans d’autres endroits, des bâtimens s’élevaient rapidement ; mais Covent-Garden était encore un véritable jardin, ou du moins on commençait à peine à y voir quelques édifices sans régularité. Tous les environs annonçaient pourtant l’accroissement rapide d’une capitale qui avait long-temps joui des bienfaits de la paix et de l’opulence, sous un gouvernement bien ordonné. De tous côtés s’élevaient des maisons ; et l’œil clairvoyant de notre citadin se figurait déjà l’époque peu éloignée où l’espèce de chemin qu’il suivait deviendrait une rue régulière, unissant la ville et la cour à la Cité de Londres.
Il passa ensuite à Charing-Cross, qui n’était plus ce joli village solitaire où les juges avaient coutume de déjeuner en se rendant à Westminster-Hall, et qui commençait, pour nous servir d’une expression de Johnson, à devenir l’artère par laquelle coule tout le sang de la population de Londres. Mais, malgré le nombre toujours croissant des maisons qu’on y bâtissait, elles ne pouvaient donner qu’une faible idée de ce que cette place est aujourd’hui.
Enfin Whitehall vit arriver notre voyageur , qui passa sous une des belles portes dont le dessin
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