Les Aventures de Nigel
quelque autre bagatelle semblable. – Mais où voulez-vous en venir avec cette préface ?
– À la grâce que j’ai à vous demander, sire ; et c’est qu’il plaise à Votre Majesté de jeter les yeux à l’instant sur le placet de lord Glenvarloch, et de prononcer sur ce qu’il contient comme votre jugement royal le trouvera juste et convenable, sans consulter votre secrétaire ni aucun membre de votre conseil.
– Sur mon ame, cela est fort étrange ! Vous plaidez en faveur du fils de votre ennemi.
– D’un homme qui avait été mon ennemi, sire, jusqu’à ce que Votre Majesté en eût fait mon ami.
– Bien parlé, milord, et avec un esprit véritablement chrétien. – Quant à la supplique de ce jeune homme, je puis aisément deviner ce qu’elle contient ; et, pour dire la vérité, j’avais promis à George Heriot de lui être favorable. – Mais voici où le soulier blesse. – Steenie et Charles se sont déclarés contre lui, et il en est de même de votre propre fils, milord ; c’est pourquoi je pense qu’il vaut mieux qu’il retourne en Écosse, avant que quelqu’un d’eux lui joue un mauvais tour.
– Si Votre Majesté me permet de le lui dire, sire, ce n’est ni sur l’opinion de mon fils, ni sur celle d’aucun autre jeune écervelé, que je règle ma conduite.
– Et, par l’ame de mon père ! ils n’influeront pas sur la mienne. Aucun d’eux ne jouera le roi avec moi. Je ferai ce que je veux et ce que je dois faire, en monarque souverain.
– Votre Majesté m’accorde donc ma demande ?
– Oui, oui, sur mon ame, je vous l’accorde. Mais suivez-moi par ici, je veux vous parler en particulier.
À ces mots, il fit passer le comte d’Huntinglen au milieu des courtisans, qui regardaient cette scène extraordinaire en silence et avec une grande attention, comme c’est l’usage dans les cours. Le roi entra d’un pas précipité dans un petit cabinet, et son premier soin fut de dire au comte de fermer la porte ; mais il révoqua cet ordre au même instant, en lui disant : – Non, non, sur mon ame ! je suis roi ; je ferai ce que je veux et ce que je dois faire. – Je suis justus et tenax propositi, comte. – Cependant, tenez-vous près de la porte, lord Huntinglen, de crainte que Steenie n’arrive avec son humeur de fou.
– Ô mon pauvre maître ! pensa le comte en soupirant, quand vous habitiez le froid climat de l’Écosse, un sang plus chaud circulait dans vos veines.
Le roi parcourut la pétition à la hâte, jetant de temps en temps les yeux du côté de la porte, et les reportant promptement sur le papier qu’il avait à la main, comme s’il eût craint que lord Huntinglen, qu’il respectait, ne s’aperçût de sa timidité.
– Il faut que j’en convienne, dit le roi après avoir terminé sa lecture, ce jeune homme se trouve dans une position bien dure ; – plus dure même qu’on ne me l’avait représentée, car j’avais déjà entendu parler de cette affaire. Il ne demande l’argent que nous lui devons que pour racheter le domaine de ses pères. – Mais, au bout du compte, il aura d’autres dettes à acquitter. – Qu’a-t-il besoin de tant de terres ? – Il faut que le domaine parte, Huntinglen ; il faut qu’il parte. Il a été promis à Steenie par notre chancelier d’Écosse. Il contient la meilleure chasse de tout ce royaume. Charles et Steenie veulent y courre le cerf l’année prochaine. Il faut qu’ils aient ce domaine, il le faut. – Quant à notre dette, elle lui sera payée à plack et bawbee {50} , et il pourra dépenser à notre cour l’argent qu’il recevra. S’il est si affamé de terre, nous lui emplirons l’estomac de terres anglaises qui ont une double valeur : oui, nous lui en donnerons dix fois autant que ces maudites montagnes, ces rochers, ces bruyères et ces marécages dont il est si épris.
En parlant ainsi, le pauvre roi marchait en long et en large dans l’appartement, dans un état d’incertitude digne de compassion, et il paraissait encore plus ridicule par la manière dont il allait les jambes écartées, et par l’air gauche avec lequel il jouait avec les nœuds de rubans qui attachaient la partie inférieure de ses vêtemens.
Le comte d’Huntinglen l’écouta avec beaucoup de sang-froid, et lorsqu’il eut cessé de parler : – Votre Majesté me permettra-t-elle, lui dit-il, de lui citer la réponse que fit Naboth à Achab, qui convoitait son vignoble ? – À Dieu ne
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