Les Aventures de Nigel
vous permettons tout. Vous êtes de ces gens qui croient que le mérite d’une bonne action doit rejaillir sur tout le reste de leur vie.
– Et quand cela serait, milord, répondit le vieux duc ; par ma foi ! j’ai du moins l’avantage sur ceux qui pensent de même sans avoir jamais rien fait qui leur en donne le droit. – Mais je ne veux pas avoir de querelle avec vous, milord ; nous ne pouvons être ni amis ni ennemis : vous avez votre chemin et moi le mien.
Buckingham ne lui répondit qu’en remettant sur sa tête sa toque surmontée d’un superbe panache, et en secouant la tête d’un air d’insouciance et de mépris. Il traversa l’appartement pour entrer dans ceux qui conduisaient chez le roi. Les deux lords et Heriot, sortant du palais, se placèrent dans la barque du citadin.
CHAPITRE X.
« Craignez ces os que l’art en cube a travaillés ;
« Desséchant à l’instant la main qui les secoue,
« De l’aveugle Fortune ils font tourner la roue.
« – Comme l’Égyptienne, amante d’un Romain,
« N’allez pas avaler vos perles dans du vin.
« C’est par de tels moyens que d’un arpent de terre
« Il ne reste qu’un pied à son propriétaire :
« Que l’or se change en cuivre, et que l’infortuné
« Qui d’honneurs aurait pu se voir environné,
« Descend dans le tombeau, courbé sous l’infamie. »
Les Changemens.
Quand la barque vogua paisiblement, le comte tira de sa poche la pétition de lord Glenvarloch, au bas de laquelle le roi avait écrit de sa propre main l’ordonnance de paiement ; et , montrant cette ordonnance à George Heriot, il lui demanda si elle était en bonne forme.
Le digne citadin la lut à la hâte, avança la main vers Nigel, comme pour le féliciter, la retira pour mettre ses besicles (présent du vieux David Ramsay), et lut une seconde fois cette pièce importante, avec toute l’attention qu’aurait pu y donner l’homme d’affaires le plus expérimenté.
– Elle est dans la meilleure forme, il n’y manque rien, dit-il en regardant le comte d’Huntinglen, et je m’en réjouis sincèrement.
– Je n’en doute nullement, répondit le comte ; le roi entend parfaitement les affaires ; et, s’il ne s’en occupe pas plus souvent, c’est parce que l’indolence nuit aux talens dont la nature l’a doué. – Mais que reste-t-il à faire pour notre jeune ami, maître Heriot ? Vous connaissez ma position. Les lords écossais qui sont à la cour d’Angleterre ne sont pas riches en argent comptant ; et cependant, à moins qu’on ne puisse lever de l’argent sur-le-champ avec cette ordonnance, j’entrevois, d’après le peu de mots que vous m’avez dits à la hâte, que l’on va fermer l’hypothèque, le wadset, ou n’importe quel autre nom.
– C’est la vérité, dit Heriot d’un air un peu embarrassé ; la somme qu’il nous faut est considérable, et cependant, si on ne la trouve pas, milord sera forclos, comme disent les gens de loi, et ses biens passeront à son créancier.
– Mes nobles, mes dignes amis, dit lord Nigel, vous qui avez pris d’une manière si inattendue les intérêts d’un homme qui n’avait rien fait pour le mériter, songez bien que je n’entends pas devenir un fardeau pour votre amitié. Vous n’avez déjà que trop fait pour moi.
– Paix ! jeune homme, paix ! dit lord Huntinglen : laissez-nous discuter cette affaire, le vieil Heriot et moi. Je vois qu’il va s’ouvrir ; écoutez-le.
– Milord, dit le citadin, le duc de Buckingham lance des sarcasmes contre nos sacs d’argent de la Cité, et cependant ils peuvent quelquefois soutenir une noble maison près de tomber.
– Je ne l’ignore pas, répondit le comte ; mais ne songez pas à Buckingham, et voyez ce qu’il est possible de faire.
– J’ai déjà fait entendre à lord Glenvarloch, dit l’orfèvre, que sur une ordonnance comme celle-ci, on pouvait trouver la somme nécessaire pour le rachat ; et je garantis, sur mon crédit, qu’elle se trouvera ; mais, pour donner toute sûreté au prêteur, il faut qu’il chausse les souliers du créancier qui sera remboursé.
– Les souliers ! s’écria le comte ; et, qu’est-ce que des souliers ou des bottes ont de commun avec cette affaire, mon bon ami ?
– C’est une phrase usitée par les gens de loi, milord ; c’est un jargon dont mon expérience m’a fait acquérir quelque connaissance.
– Et quelque chose qui vaut beaucoup
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