Les Aventures de Nigel
lord Glenvarloch, où avez-vous passé le temps de votre vêlage {37} ?
– À Leyde, sire, répondit lord Nigel.
– Ah ! ah ! s’écria le roi, c’est un savant, et, sur mon ame, un jeune bomme modeste et ingénu, qui sait encore rougir, ce qu’ont oublié la plupart de nos jeunes gens qui ont voyagé et qui sont revenus ici des Messieurs. Nous le traiterons en conséquence.
Alors se redressant, toussant deux ou trois fois, et jetant autour de lui un coup d’œil qui semblait dire : – Vous allez avoir un échantillon de mon érudition supérieure, – le monarque savant commença à interroger Nigel en latin, tandis que tous les courtisans se pressaient autour de lui, qu’ils entendissent ou non cette langue {38} .
– Hem ! hem ! Salve, bis quaterque, salve, Glenvarlochides noster ! Nuperne à Lugduno-Batavorum Britanniam re-diisti {39} ?
Le jeune lord répondit en faisant un profond salut :
– Imò, Rex augustissime. – Biennium ferè apud Lug-dunenses moratus sum {40} .
Jacques continua :
– Biennium dicis ? benè, benè, optimè factum. – Non uno die quod dicunt… Intelligis, domine Glenvarlochides {41} .
– Ah ! ah !
Nigel ne répondit que par un salut respectueux, et le roi, se tournant vers ceux qui étaient derrière lui, leur dit :
– Adolescentulus quidem ingenui vultûs, ingenuique pu-doris {42} . Et il continua ses savantes questions.
– Et quid hodiè Lugdunenses loquuntur ? – Vossius vester nihilne novi scripsit ? Nihil certè, quòd doleo, typis recenter edidit {43} .
– Valet quidem Vossius, Rex benevole, répondit Nigel. At senex veneratissimus annum agit, ni fallor, septuagesimum {44} .
– Virum, meherclè ! vix tant grandœvum crediderim, répondit le monarque. Et Vorstium iste, Arminii improbi successor œquè ac sectator, – herosne adhùc, ut cum Homero loquar , Ζωίς έστι, χαί έπί χθονί δέρχων {45} .
La bonne fortune de Nigel voulut qu’il se souvînt que ce Vorstius, le théologien dont Sa Majesté venait de parler dans sa dernière question, avait soutenu contre Jacques une querelle de controverse dans laquelle le roi avait mis tant de chaleur, qu’il avait enfin fait sentir aux Provinces-Unies, dans sa correspondance officielle, qu’ils feraient bien d’employer le bras séculier pour arrêter les progrès de l’hérésie, en adoptant des mesures contre la personne du professeur ; demande que les principes de tolérance universelle de leurs hautes puissances leur firent éluder, quoique non sans difficulté. Instruit de ces circonstances, lord Glenvarloch, quoiqu’il ne fût courtisan que depuis cinq minutes, eut assez d’adresse pour répliquer ainsi qu’il suit :
– Vivum quidem, haud diù est, hominem videbam ; vigere autem quis dicat qui sub fulminibus eloquentiœ tuœ, Rex magne, jamdudùm pronus jacet et prostratus {46} ?
Ce tribut payé à ses talens polémiques porta à son comble la satisfaction et le bonheur de Jacques, qui triomphait déjà d’avoir pu donner de telles preuves d’érudition.
Il se frotta les mains, fit craquer ses doigts, rit à gorge déployée, et s’écria : Eugè ! bellè ! optimè ! puis, se tournant vers les évêques d’Excester et d’Oxford, qui étaient derrière lui, il ajouta : – Vous venez d’avoir, messieurs, un petit échantillon de la manière dont nous parlons latin en Écosse. Nous voudrions que tous nos sujets en Angleterre connussent cette langue aussi bien que ce jeune lord. Et les autres jeunes gens bien nés de notre ancien royaume. Faites attention aussi que nous conservons la véritable prononciation romaine, comme les autres nations savantes du continent ; ce qui fait que nous pouvons converser avec tous les savans de quelque partie que ce soit de l’univers ; au lieu que vous autres Anglais vous avez adopté dans vos universités, fort savantes d’ailleurs, une manière de prononcer le latin qui fait, ne trouvez pas mauvais que je vous le dise franchement, qui fait, dis-je, qu’aucune nation sur la terre ne peut vous entendre que vous-mêmes. Il en est résulté que le latin, quoàd Anglos {47} , cesse d’être communis lingua, le drogman ou interprète général de tous les savans de la terre.
L’évêque d’Excester baissa la tête, comme pour reconnaître la justesse de la critique du roi ; mais celui d’Oxford se redressa, comme s’il eût été disposé à braver le bûcher pour défendre la
Weitere Kostenlose Bücher