Les Aventures de Nigel
subalterne, et faire ce que faisaient nos ancêtres, avec moins de connaissances et de lumières que nous n’en avons.
– Et c’est un homme qui depuis bien long-temps est un ornement de la cour de Jacques I er , dit Heriot, qui donne le conseil d’habiter la province !
– Oui, répondit le comte, un vieux courtisan, et le premier de sa famille à qui l’on ait pu donner ce nom. Ma barbe grise tombe sur une fraise de mousseline et sur un pourpoint de soie, tandis que celle de mon père descendait sur une cotte de peau de buffle et sur une cuirasse. Je ne désire pas le retour de ces jours de combats, mais j’aimerais à faire encore retentir ma vieille forêt de Dalgarno du son des cors, des cris des chasseurs et des aboiemens des chiens. Je voudrais que l’ancienne grande salle de mon château fût encore le témoin de l’allégresse qui animait mes vassaux quand l’ale et le vin circulaient gaiement parmi eux. Je serais charmé de revoir le Tay majestueux avant de mourir. La Tamise même, selon mon cœur, ne lui est pas comparable.
– Cela vous est sûrement bien facile, milord ; il ne vous en coûterait qu’un moment de résolution et quelques jours de voyage. Qui peut vous empêcher de vous rendre où vous désirez être ?
– L’habitude, maître George, l’habitude. Pour un jeune homme ce n’est qu’un fil de soie, mais pour un vieillard c’est une chaîne de fer dont rien ne peut délivrer ses membres raidis. Aller en Écosse pour un court intervalle, ce serait vraiment prendre une peine inutile ; et, quand je pense à m’y fixer, je ne puis me déterminer à quitter mon vieux maître, à qui je m’imagine que je suis quelquefois utile, et dont j’ai partagé si long-temps la bonne et la mauvaise fortune. Mais Dalgarno sera un vrai noble écossais.
– A-t-il jamais été dans le nord ?
– Il y a été l’année dernière, et ce qu’il a dit de notre pays au jeune prince lui a inspiré le désir de le voir.
– Lord Dalgarno est en grande faveur auprès de Son Altesse Royale et du duc de Buckingham.
– C’est la vérité, et je désire que ce soit pour l’avantage de tous les trois. Le prince est juste et équitable dans ses sentimens, quoiqu’on remarque de la froideur et de la hauteur dans ses manières, et qu’il soit obstiné, même dans les moindres bagatelles. Le duc, noble et brave, franc et généreux, est fier, ambitieux et violent. Dalgarno n’a aucun de ces défauts ; et ceux qu’on aurait à lui reprocher peuvent se corriger par la compagnie qu’il fréquente. Mais le voici qui arrive.
Lord Dalgarno parut au bout d’une allée du jardin, et il s’avança vers le banc sur lequel son père et ses deux hôtes s’étaient assis. Pendant qu’il arrivait, Nigel eut le temps d’examiner sa physionomie. Il était vêtu à la dernière mode, et elle convenait à son âge, qui semblait être d’environ vingt-cinq ans, à son air noble et à ses beaux traits, dans lesquels il était facile de reconnaître ceux de son père, mais dont l’expression était adoucie par un air habituel de politesse affable que le vieux comte ne daignait pas toujours prendre à l’égard de tout le monde. Son abord annonçait la franchise et la galanterie sans aucun mélange d’orgueil et de hauteur. Il ne paraissait certainement pas qu’on pût lui reprocher, soit une froide fierté, soit une impétuosité ardente ; et c’était avec raison que son père l’avait représenté comme exempt des défauts qu’il attribuait au prince et à son favori Buckingham.
Tandis que le vieux comte présentait à son fils sa nouvelle connaissance, lord Glenvarloch, comme un jeune homme dont il désirait qu’il fît son ami, Nigel observa avec attention la physionomie de lord Dalgarno, pour voir s’il y trouverait quelque signe qui annonçât que ce jeune lord avait conçu des préventions contre lui, comme le roi l’avait donné à entendre au comte d’Huntinglen, préventions qui pouvaient avoir pour cause les intérêts différens qui semblaient diviser le duc de Buckingham et lord Glenvarloch. Mais il n’y remarqua rien de semblable. Au contraire, lord Dalgarno le reçut avec cette franchise et cette cordialité qui font des conquêtes subites quand elles attaquent le cœur d’un jeune homme ingénu.
Est-il besoin de dire que l’accueil ouvert et amical de lord Dalgarno fut reçu par Nigel Olifaunt avec les mêmes démonstrations ? Depuis plusieurs mois, à
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