Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec: Le roman du film
évitant la trahison de ses associés et tous les pièges du tombeau du pharaon, puis en échappant aux griffes de ce salopard de Dieuleveut.
Elle a aussi réussi par miracle – ou plutôt grâce à son astuce et son incroyable culot – à s’introduire plusieurs fois à la santé pour tenter de sortir Espérandieu de sa geôle.
Mais elle a échoué, dans la dernière ligne droite, et elle ne voit plus comment elle pourrait, une nouvelle fois, s’introduire derrière ces hauts murs pour empêcher le pauvre Professeur d’avoir la tête tranchée par cette horrible machine barbare que certains osent appeler « les bois de justice ».
Elle a perdu toute la sympathie du Président Fallières qui n’a même pas voulu entendre ses explications.
Elle a failli être enfermée pour de bon par la Police de la République…
Non, en montant ses escaliers, Adèle Blanc-Sec a paradoxalement l’impression de descendre au fond du trou. Elle chasse toutes ces pensées en ouvrant sa porte. Elle pose son grand chapeau blanc et se dirige machinalement vers la fenêtre. Elle l’ouvre et verse tout aussi machinalement quelques graines pour les pigeons. Ils les trouveront demain. Et demain, Espérandieu sera mort. Raccourci.
Adèle frissonne à cette idée. Quelle horreur.
Derrière son apparente maîtrise de soi, son humour et son ironie, se cache une sensibilité à fleur de peau. Dans ce monde moderne de 1912, dans lequel elle vit, et où les femmes n’ont que peu de place, comment ne pas se sentir obligée de se construire une telle armure pour survivre ? Peu de gens le savent, mais son sourire de Joconde est une sorte de bouclier qui la protège de la stupidité ou des vantardises et des méfaits de la gent masculine, ou des tortueuses machinations de certains hommes, prêts à tout pour le pouvoir, l’argent, les honneurs ou la simple domination. Son sourire, et son humour qui va jusqu’à rire d’elle-même…
C’est sans doute parce qu’elle a toujours protégé sa sœur face au reste du monde, qu’elle s’est endurcie comme cela, du moins en apparence. De ces deux petites orphelines, elle était la plus forte. Depuis leur plus tendre enfance. Même si cette expression est assez idiote quand on parle d’enfants ayant perdu leurs parents très tôt. Agathe était la plus rêveuse, et même si elles étaient nées à quelques minutes d’intervalle, Adèle s’est toujours considérée comme l’aînée et a toujours joué ce rôle à la perfection, pendant qu’Agathe rêvait, prenait la vie avec insouciance. Et maintenant, Agathe rêve sans doute toujours, paralysée au fond de son fauteuil, et plongée dans des songes impénétrables.
Adèle entre dans la chambre de sa sœur, émue et gênée. Son secret
— Ça ne s’est pas tout à fait passé comme j’avais prévu, petite sœur… Et… j’ai besoin d’un bon bain… Pour me remettre les idées en place…
Du bout des doigts, elle caresse doucement la joue de sa « petite » sœur qui est là, les yeux fixés sur un monde qu’elle est seule à voir. Depuis le jour où Agathe s’est retrouvée dans cet état terrible, Adèle s’est toujours comportée comme si sa sœur pouvait l’entendre et la sentir. Ce n’est pas évident. Mais Adèle est persuadée qu’elle l’entend et qu’elle attend l’heure de la délivrance. Le moment où l’horrible aiguille qui lui traverse le crâne cessera de la paralyser, de la changer en une sorte de petit animal muet en hibernation mentale. Adèle en est certaine, comme elle est certaine qu’elle parviendra à la sortir de là.
Elle se rend dans sa salle de bains où pousse une jungle de plantes vertes, comme des appels aux voyages lointains et aux rêveries d’aventures. Sur une petite table, près de la grande baignoire aux pattes de lion, une pile de courrier, un coupe-papier, un verre et une carafe de cristal contenant du whisky, ce liquide ambré censé chasser le spleen. Adèle ouvre les robinets et règle la température de l’eau.
Satisfaite, elle revient dans le salon et se place face à la momie de Patmosis, debout dans sa vitrine d’acajou. Dans un bruit de cascade venu de la jungle de sa salle de bains, elle commence à se déshabiller.
— Je suis désolée de vous avoir dérangé pour rien, vraiment, dit-elle à la momie.
Et dans sa voix, on sent percer le désespoir. Elle se retrouve nue et s’allume une cigarette.
— Enfin, dit-elle à Patmosis avec un sourire
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