Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
avoir. Il saura bien me trouver pour me
ressusciter à la fin des temps.
Au neuvième jour de sa maladie, elle avait cinquante-six ans et moi
trente-trois, son âme religieuse et fidèle s’est détachée du corps.
29.
J’ai fermé ses yeux.
Une immense tristesse a envahi ma poitrine, sur le point de libérer un
flot de larmes. Mais j’ai fait violence à mes yeux pour en tarir la source.
Ce combat m’a fait atrocement mal.
Quand elle a expiré, Adéodat, cet enfant, a poussé des cris de douleur. Nous l’en avons tous empêché et ramené au silence. Tout comme
l’enfant en moi, qui allait fondre en sanglots, et en fut empêché et réduit
au silence par la voix adulte du cœur. Nous jugions indécent de célébrer sa mort par des plaintes, des larmes et des gémissements, avec quoi
habituellement on pleure dans la mort la perte totale d’un être ou une
forme de malheur. Or mourir pour ma mère n’était ni un malheur ni nesignifiait disparaître totalement. Nous en avions les preuves dans sa vie,
dans sa réelle confiance, et avec de solides raisons.
30.
Mais alors pourquoi une telle douleur en moi ? Rompre si brutalement la très douce et très aimée habitude de vivre ensemble avait ouvert
une plaie. Même si je me réconfortais avec l’affection qu’elle m’avait
témoignée lors de sa maladie fatale, quand j’étais à son chevet et qu’elle
m’appelait son fils chéri. Elle avait rappelé avec une immense tendresse
qu’elle n’avait jamais entendu dans ma bouche une critique ou une
injure contre elle. Et pourtant, quoi de comparable, mon Dieu qui nous
a faits, quelle comparaison possible entre le respect que je lui portais et
son dévouement pour moi ?
Abandonné, privé de son immense consolation, j’étais déchiré.
Ma vie était en lambeaux, ma vie qui n’en avait fait qu’une avec la
sienne.
31.
Enfin. Adéodat avait ravalé ses larmes. Évodius s’est alors emparé du
psautier pour entonner un psaume. Toute la maison lui a répondu.
Ton amour ta justice
je les chante pour toi Seigneur
Apprenant la nouvelle, il est venu beaucoup de frères et de fidèles
femmes. Selon la coutume, ceux qui en avaient la charge se sont occupés des soins funéraires. Je me suis alors retiré décemment à l’écart,
où je pouvais, avec ceux qui pensaient qu’il était préférable que je ne
reste pas seul. Pour discuter de sujets adaptés aux circonstances. Parler vrai me soulageait. Adoucissait la torture que tu connaissais mais
qu’eux ignoraient. Ils m’écoutaient attentivement en croyant que je ne
souffrais pas. Mais toi, tu m’entendais de l’intérieur, où aucun d’entre
eux ne m’entendait, et je me reprochais la mollesse de mes sentiments.
Je contenais ma tristesse qui refluait un peu avant d’être encore
emportée par elle-même, sans toutefois aller jusqu’à la crise de larmes
ni décomposer mon visage. Mais moi, je savais ce que j’étouffais dans
mon cœur. Je ne supportais pas d’être dominé à ce point par la naturehumaine, sort fatal de notre condition, inéluctablement. Et dans ma
douleur, je souffrais d’une autre douleur. Cette double tristesse
m’épuisait.
32.
Levée du corps. Pas une larme, ni à l’aller ni au retour. Ni pendant
les prières que nous t’avons adressées en offrant pour elle le sacrifice de
notre rachat, devant son cadavre près du tombeau, avant sa déposition,
comme le veut la coutume. Non, même pendant ces prières je n’ai pas
pleuré. Mais toute la journée, je fus secrètement désespéré. Mon esprit
troublé te suppliait, comme il pouvait, de guérir ma douleur. Tu ne l’as
pas fait. Je crois que tu voulais m’apporter la preuve par là que l’habitude nous enchaîne, que c’est un obstacle, même pour un esprit qui ne
se nourrit plus de paroles trompeuses. J’ai alors pensé que je devais aller
aux bains. J’avais entendu dire que les bains tirent leur nom du mot
grec balanion qui signifie chasser l’angoisse. Mais en fait, je l’avoue à
ton amour, père des orphelins, après mon bain, j’étais toujours dans le
même état qu’avant. Mon cœur ne s’était pas débarrassé de mon amer
désespoir. Puis je me suis endormi.
À mon réveil ma douleur s’était en grande partie adoucie. Seul dans
mon lit, je me suis souvenu des vers si justes de ton Ambroise :
Dieu créateur de tout
recteur du ciel tu donnes
au jour la beauté lumineuse
à la nuit le bonheur du sommeil
corps assoupis
le repos
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