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Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions

Titel: Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric Boyer
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d’entrée et son dépôt. Mais elles n’entrent pas elles-mêmes. Ce
sont les images des choses perçues qui sont là. Réminiscences à la disposition de la pensée.
    Qui peut dire le secret de leur fabrication ?
    On voit clairement quels sens les ont captées et remisées au-dedans
de nous. Dans le noir et le silence, si je veux, je peux faire apparaître de
mémoire des couleurs. Je distingue, si je veux, le blanc du noir, et
d’autres couleurs. Aucun son n’interfère avec l’examen de mes représentations visuelles. Pourtant les sons aussi sont là. Séparément, déposés quelque part. S’il me plaît de les réclamer, ils viennent immédiatement. Ma langue se repose, ma gorge est muette mais je chante autant
que je veux ! Les images des couleurs ont beau être là, elles n’interfèrent
pas et ne m’interrompent pas quand je reprends cet autre trésor qui
s’est introduit par mes oreilles. Même phénomène pour ce que d’autres
sens ont imposé et amassé. Je m’en souviens librement. Je distingue le
parfum du lys de celui des violettes sans rien sentir, le miel et le vin cuit,le poli du rugueux, sans rien goûter ni toucher, mais uniquement par
réminiscence.
    14.
    J’accomplis toutes ces choses intérieurement, dans l’immense cour
de ma mémoire. Ici, le ciel, la terre et la mer sont à moi, comme toutes
les émotions qu’ils ont pu me procurer, hormis celles que j’ai oubliées.
Ici, je me rencontre moi-même. Je me souviens de moi, de ce que j’ai
fait, quand et où, et quelle sensation j’ai éprouvée en le faisant. Il y a ici
tout ce que j’ai pu expérimenter ou croire, et dont je me souviens. À
partir de cette profusion, je conçois de nouvelles et encore de nouvelles
choses par analogie avec celles que j’ai pu expérimenter et auxquelles
j’ai pu croire sur la foi de l’expérience. Je les raccorde au passé et de là
aux effets et aux perspectives d’événements futurs. J’imagine tout cela,
et j’y reviens, comme s’il s’agissait du présent. Dans les immenses replis
de mon esprit, rempli des images de choses si nombreuses et si variées,
je me dis en moi-même : je vais faire ci ou ça. Il va arriver ci ou ça. Oh
s’il pouvait arriver ci ou ça. Que Dieu écarte ci ou ça. Je me le dis en
moi-même, et dès que je le dis, toutes les images que je dis sont à moi,
tirées de ce trésor de la mémoire. Je ne dirais rien de tout ça si elles
manquaient.
    15.
    La force de la mémoire est grande. Trop grande, mon Dieu.
    Secret immense et infini. Qui en a touché le fond ?
    Cette force m’appartient, elle est propre à ma nature, et pourtant je
suis incapable d’embrasser tout ce que je suis. Si l’esprit est à l’étroit
pour se contenir lui-même, où donc est la part de lui-même qu’il ne
peut embrasser ? Hors de lui et non en lui ? Comment se fait-il qu’il
n’embrasse pas tout ? C’est pour moi un grand sujet d’étonnement. Je
suis stupéfait. Les hommes se laissent impressionner par la hauteur des
montagnes, les vagues géantes de la mer, le cours majestueux des
fleuves, le contours des océans et la carrière des astres… et devant eux-mêmes, rien. Ils ne s’étonnent même pas que je puisse parler de toutes
ces choses sans les voir ! Que je n’aurais rien à dire des montagnes, des
vagues, des fleuves et des astres que j’ai vus, ni de l’océan que j’imagine,si je ne les avais pas vus grandeur nature, en moi, dans ma mémoire,
comme si je les avais vus à l’extérieur. En les voyant, je ne les ai pourtant pas absorbés, quand je les ai vus de mes yeux, et ce ne sont pas eux
qui sont en moi mais leurs images. Et je sais quels sens physiques les ont
imprimées en moi.
    16.
    Mais l’immense capacité de ma mémoire ne se limite pas à ça. S’y
trouve également tout ce que j’ai appris des sciences et qui ne s’est pas
encore évanoui. Qui est relégué plus loin à l’intérieur, dans un lieu qui
est une sorte de non-lieu. Ce ne sont pas leurs images que je porte en
moi mais les questions mêmes. L’objet de la littérature, les techniques
argumentatives, les différents registres de questions. Tout mon savoir
est dans ma mémoire mais il ne s’agit pas d’une image que j’aurais
conservée après avoir abandonné l’objet même à l’extérieur, ni d’un
bruit qui après avoir retenti resterait silencieux, comme la voix qui
imprime une trace dans nos oreilles, que l’on peut retrouver comme si
elle résonnait alors

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