Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
les
lieux où j’étais présent, des visages humains que j’ai vus, et des messages
des autres sens, du bien-être ou de la douleur de mon corps. La
mémoire a capté les images de tout ce qui s’est présenté. Quand je me
souviendrai des choses absentes, je pourrais contempler leurs images,
les repasser dans mon esprit. Alors, si la mémoire retient l’image de
l’oubli et non l’oubli lui-même, il a bien été présent malgré tout pour
qu’on en prenne une image. Mais s’il était présent comment l’oubli a-t-il pu inscrire son image dans la mémoire, puisque par sa présence même
l’oubli efface ce qu’il trouve déjà enregistré ? Et pourtant je suis sûr que
d’une manière ou d’une autre, aussi incompréhensible et inexplicable
que ce soit, je me souviens aussi de l’oubli lui-même. Qui engloutit nos
souvenirs.
26.
La force de la mémoire est immense. Je ne sais quelle chose
effroyable, mon Dieu. Profonde et infinie multiplicité. Et cette chose,
c’est l’esprit. C’est moi-même.
Qui suis-je, mon Dieu ? Quelle nature suis-je ? Une vie changeante,
multiple, une immensité violente. Ma mémoire. Prairies, antres,
cavernes innombrables pleines d’innombrables façons d’innombrables
choses présentes en images comme tous les corps, ou réellement
présentes comme les objets de savoir, ou par je ne sais quelles notions
ou notations comme les sentiments que conserve la mémoire alors que
l’esprit ne les ressent plus, et alors même que dans l’esprit se trouve tout
ce qui est dans la mémoire. Je cours à travers, dans tous les sens. Je vole
ici ou là. Et même je m’enfonce aussi loin que je peux. C’est illimité. La
force de la mémoire est si grande. Elle est si grande la force de la vie
chez l’homme mortel vivant.
Que faire ? Tu es ma vraie vie, mon Dieu. J’irai même au-delà de cette
force en moi qu’on appelle la mémoire. J’irai au-delà jusqu’à toi,
lumière douce. Que me dis-tu ? Par mon esprit, je m’élèverai jusqu’à
toi qui demeures au-dessus de moi. J’irai au-delà de cette puissance en
moi qu’on appelle la mémoire. Je veux t’atteindre où il est possible de
t’atteindre et m’attacher à toi où il est possible de s’attacher à toi.
Bestiaux, oiseaux ont eux aussi la mémoire. Sinon ils ne retrouveraient ni leurs gîtes ni leurs nids ni mille autres choses non plus auxquelles ils sont pourtant habitués, et qui sont devenues leurs habitudes
précisément par le souvenir. J’irai au-delà de la mémoire pour atteindre
celui qui m’a séparé des quadrupèdes et qui m’a fait plus intelligent que
les oiseaux du ciel. J’irai au-delà de la mémoire mais pour te trouver
où ? vraie bonté, douceur rassurante, pour te trouver où ? Si je te trouve
hors de ma mémoire, je suis privé de mémoire de toi. Et alors comment
te trouver si je suis sans mémoire de toi ?
27.
Une femme avait perdu une drachme, et la cherchait avec une lampe.
Sans l’avoir en mémoire, elle ne l’aurait pas retrouvée ; car à supposer
qu’elle la retrouve comment aurait-elle su que c’était bien sa pièce si elle
ne l’avait pas eue en mémoire ? Je me souviens avoir perdu beaucoup
de choses que j’ai retrouvées après les avoir cherchées. Et je sais que
pendant mes recherches si quelqu’un me demandait si ce n’était pas ci
ou ça, je répondais toujours non, ce n’est pas ça, jusqu’à ce qu’on me
présente ce que je cherchais. Si je ne l’avais pas gardé en mémoire,
quel qu’il soit, je ne l’aurais pas retrouvé même si on me l’avait présenté
parce que je ne l’aurais pas reconnu. C’est toujours le cas pour
n’importe quelle chose perdue, que nous retrouvons après l’avoir cherchée. S’il arrive que nous perdions quelque chose de vue mais non la
mémoire de cette chose, intérieurement, nous conservons son image, et
nous la cherchons jusqu’à lui retrouver son aspect. Une fois que la
chose est retrouvée, le processus de reconnaissance dépend de cette
image intérieure. Sans cette reconnaissance, nous ne disons pas avoir
retrouvé ce qui était perdu. Et nous ne reconnaissons rien sans souvenir. Ce que l’œil avait perdu, la mémoire le conservait.
28.
Mais si la mémoire elle-même vient à perdre quelque chose, comme
cela arrive quand nous oublions, et que nous cherchons son souvenir,
nous ne pouvons la chercher que dans la mémoire elle-même. Et là, si
par hasard une chose se présente pour une
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