Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
peine
crédibles, ou simplement transposés de divers modèles en cour à
l’époque, mais qui sont assénés avec la puissance rhétorique d’alibis
indestructibles. L’homme avoue s’être fourvoyé dans sa quête de la
sagesse et du vrai (qui ne l’a jamais été ?). Il ridiculise ses anciennes
idoles. Il fustige l’imbécile qu’il était.
Le deuil plane sur cette œuvre : deuil de la petite enfance, deuil des
amis, deuil de la mère, deuil des innombrables passions humaines…
« La vie perdue des morts, écrit Augustin, devient la mort des
vivants. »
Il est difficile de se dire une personne. Et de dire quelle personne
nous sommes. Quelle vérité est la nôtre. Et puis, dire quoi à qui ? et
comment ? Quelle chance une personne a-t-elle de se rapporter et de se
confier à la vérité ?
Pour reprendre la distinction que fera Wittgenstein dans son Tractatus , il y a souvent un contraste total entre ce qu’on peut réussir à dire de soi et ce qu’on est capable de montrer dans et de sa vie. Parce
que, expliquera Wittgenstein, « la solution du problème de la vie se
remarque à la disparition de ce problème ». Notre vie peut nous
paraître bien étrange, à certains moments, mais plus tard, alors même
que nous voulons comprendre ce qu’elle avait d’étrange, non seulement elle ne l’est peut-être plus à nos yeux, mais il nous est impossible
d’y retrouver ce qu’elle avait de si singulier et d’extraordinaire pour
nous.
Et il n’a pas toujours été certain ni avéré que la personne et la vérité
aient des liens communs, presque nécessaires, ni même une histoirecommune. Et encore moins que la vérité puisse être une personne
comme l’ont affirmé, dès les débuts, les premiers chrétiens.
Affirmer que la vérité est une personne, que la parole-raison ( logos ) est
une personne, fut pour l’Antiquité une absurdité.
La révolution du christianisme sera de diviniser la médiation elle-même
entre Dieu, la vérité et l’humanité. Et d’affirmer que la vérité est parole
( logos ) et que cette parole est personne.
Longtemps la personne était un fantasme, un masque. Quelque chose
comme la nuit magique des puissances autres. Ni bien ni mal.
Mais en chacun d’entre nous, il y a ce temps qui n’en est pas un où la
personne n’est personne. Ce temps d’avant le commencement, d’avant le
discours de toute personne sur elle-même.
Même si les gens n’ont pas toujours eu l’idée d’être une personne, au
sens où nous entendons ce mot aujourd’hui, et alors même que ce mot n’a
plus forcément le même sens, la même valeur pour les gens.
Dans l’Antiquité, le mot personne a d’abord désigné le masque des
acteurs de théâtre. Et il aura fallu beaucoup de temps et d’histoires finalement pour que ce mot-là désigne l’individu sous le masque.
C’est à cette révolution que s’est attelé ce Nord-Africain du IVe siècle,
converti au catholicisme, formé à l’éloquence païenne et aux lettres gréco-romaines, plongé dans la diversité culturelle et spirituelle de l’Empire agonisant et déjà envahi par un nouveau monde. Avec son extraordinaire
témoignage littéraire sur son propre changement de vie qu’il appellera
« les treize livres de mes aveux », et connus traditionnellement sous le titre
des Confessions .
Dans ses Rétractations (un étonnant catalogue commenté, à la fin de sa
vie, de sa formidable production littéraire), Augustin justifiera en ces
termes la rédaction de cette œuvre majeure de l’Occident : « Les treize
livres de mes aveux ( confessionum ) célèbrent la justice et la bonté de Dieu
par le bien et le mal que j’ai fait, et nous excitent à le connaître et à l’aimer.
C’est l’effet qu’ils ont produit en moi quand je les ai écrits, et qu’ils produisent en moi quand je les lis. Ce que les autres en pensent, c’est à eux
de le voir. Je sais que ces livres ont plu et plaisent encore à de nombreux
frères. Du premier au dixième livre, j’ai écrit sur moi… »
Écrire ses aveux produit un effet sur la personne de l’écrivain. Justification et revendication majeures et absolument nouvelles de l’acte d’écrire.
Augustin révolutionne le monde en établissant la connexion entre
l’écriture et le moi. Et en projetant la quête traditionnelle de la vérité
dans une odyssée intime ( « je te cherchais hors de moi et ne te trouvais
pas »), dans la fiction d’une introspection
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