Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
écrite assimilée à un compte
rendu de sa propre existence aux yeux de tous.
L’écriture du moi a un sens, une justification, une utilité : nous exciter à l’amour de Dieu. L’écriture est un excitant, sans doute une drogue dans le cas d’Augustin. Et le sujet de l’écriture, c’est moi. L’écriture est
assumée comme une action personnelle adressée aux autres, une action
de soi sur soi qui rend visible aux autres une transformation de soi.
Celui qu’on appelle Dieu n’est pas étranger à moi ni à mon désir d’excitation littéraire.
C’est une pensée neuve. L’existence du moi des gens est si importante pour Dieu, si persistante, si complète qu’il ne lui est pas du tout
nécessaire d’être un autre dieu que ce dieu des aveux et des confessions.
En ce sens, il nous est unique. Il est le seul dieu. Personnel et universel.
Le dieu du « je crois. »
Dans l’Antiquité, la plupart des gens avaient pourtant moins d’attention, de compréhension pour le moi que pour la forme des vies (formes
sociales, institutionnelles). On n’a pas toujours pensé qu’avouer ses
fautes ou ses erreurs était une idée lumineuse, une idée utile pour réussir sa vie. Un autre écrivain latin, le Pseudo-Quintilien ( Déclamations 314), pensait au contraire que les gens qui pratiquaient l’aveu (la confessio ) de leurs fautes agissaient comme des fous ( demens ). Comme si
avouer ses erreurs, ses crimes relevait d’une pratique de défiguration de
sa vie, de sa forme instituée par les autres (la Tradition, la Cité).
Augustin va plus loin encore. Il écrit au dixième livre de ses aveux :
« La vie humaine sur la terre est une provocation. » La temptatio latine
est ici ce qui nous atteint, nous provoque (maladies, tentations,
affects…). Plaisirs innombrables, douleurs, manques, pulsions. Être
tenté, c’est être mis au défi, c’est être provoqué. La translittération française, tentation, ne rend plus aujourd’hui le sens actif de la temptatio .
« Malheur aux bonheurs du monde. Une fois, deux fois. On a peur
de l’épreuve. La joie est pourrie.
Malheur aux épreuves du monde. Une fois, deux fois, trois fois. On
désire le bonheur. Dures épreuves. Le seuil de tolérance est brisé.
La vie humaine sur la terre est une provocation. Jamais de répit. »
« Je fais l’effort, écrit Augustin, de me rappeler les horreurs par lesquelles je suis passé, et la corruption physique de mon âme. » Sa passion
de l’amitié, des amants causeurs, des intellectuels, des orateurs du forum,
des acteurs de théâtre, des combattants dans l’arène du cirque, des êtres
sensuels… Il raconte l’amour fou d’une mère idéalisée jusqu’à la fiction
pieuse et hagiographique. L’amour déchirant de l’enfance perdue, jusqu’aux temps obscurs sans mémoire de l’embryon. Il décrit l’innocente
perversité des enfants. Les manipulations enfantines des adultes. Il avoue
ses passions physiques, sa soif brûlante des corps, adolescent dans Carthage.
Augustin dit son amour des idées, même les plus délirantes, les plus
absurdes, sa soif de connaissance et de sagesse, sa grande ambition personnelle qui le conduit à rejoindre Rome puis Milan.
On a souvent caché la violence inouïe de ces textes. Augustin explique
comment « cette pute d’âme humaine » (ses mots) a été arrachée, transformée, retournée. Il s’adresse directement au responsable de ce ravissement, le dieu nouveau, unique et bienveillant, le dieu des psaumes rempli d’amour et de force, maître et seigneur de l’univers, expert en sagesse,
surclassant tous les savants et les philosophes.
L’immensité du dieu chrétien se découvre alors dans l’intimité obscure
d’une parole personnelle qui tient à se rendre publique.
Existe-t-il une autre vie possible ?
C’est ce qui fait le mystère de toute vie.
Augustin a bien vu, pour l’avoir vécu lui-même, qu’il n’y a pas du tout
d’autre vie possible que cette vie de manque et d’excitation. Fasciné par
la quête philosophique des vertus, il découvre ou expérimente que cette
quête bien souvent ne conduit qu’à des fins fort peu vertueuses en vérité(ce qui n’est pas éloigné de ce que dénoncera Nietzsche dans la Généalogie de la morale ). Il oppose à cela la confiance apportée par la foi en Dieu :
confiance qui ne peut être que la cause des vertus tant recherchées. La
seule fin c’est la joie débordante qui subordonne tout
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