Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
toi. Ses
prières entraient dans ta présence, mais tu me laissais encore me rouler
et m’ensevelir dans cette noirceur.
21.
Entre-temps, tu donnais une autre réponse qui me revient. Oui, je
dois passer beaucoup de choses pour arriver plus vite à celles qu’il est
urgent de t’avouer, et beaucoup d’autres aussi dont je ne me souviens pas.
Tu as donné une autre réponse par ton prêtre, un évêque nourri dans
l’assemblée, et spécialiste de tes livres. Cette femme lui avait demandé
de bien vouloir discuter avec moi, de réfuter mes erreurs et de me
désapprendre le mal pour m’apprendre le bien. Elle avait l’habitude de
demander cela aux personnes compétentes qu’elle rencontrait par
hasard. Mais il refusa, avec une vraie prudence, comme je devais m’en
rendre compte plus tard.
Il a répondu que j’étais encore rebelle, et plein de cette nouvelle
hérésie, et que j’avais déjà tourmenté par de petites questions minables
beaucoup d’ignorants, comme elle-même le lui avait raconté.
Mais, dit-il, laisse-le là. interroge simplement le Seigneur sur son cas.
Par ses lectures, il découvrira lui-même la nature de cette erreur et la
gravité de son hérésie.
Et il lui a raconté comment lui-même, dans son enfance, avait été
livré aux Manichéens par sa mère abusée. Il avait lu et recopié presque
tous leurs livres. Et il lui était alors apparu, sans l’aide de quiconque
pour le contredire et le convaincre, que cette secte était à fuir.
Et il avait fui.
Il eut beau dire, elle refusait d’accepter, et elle insistait en suppliant
davantage et pleurait abondamment pour qu’il me voie et discute avec
moi. Mais il commençait à être agacé et fatigué.
Va-t’en, dit-il. Laisse-moi. Toi vivante, il n’est pas possible que le fils
de ces larmes soit perdu.
Parole qu’elle a conservée, et qu’elle m’a rappelée souvent dans nos
conversations, comme si cette parole avait retenti depuis le ciel.
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1.
On ne possède plus aujourd’hui d’exemplaire de cet ouvrage de Cicéron sinon
quelques fragments rassemblés à la fin du XIXe siècle. L’ Hortensius a initié Augustin à la
philosophie, à son histoire et surtout à ses grandes valeurs morales : quête des vertus,
recherche du bien…
↵
2.
Job 12, 13.
↵
3.
Lettre aux Colossiens 2, 8-11.
↵
4.
Augustin passera une dizaine d’années proche des manichéens avant de se convertir définitivement au christianisme. Sa critique violente, et souvent caricaturale, de cette
religion témoigne à la fois de l’importance du manichéisme à son époque (on a même
parlé de « christianisme manichéen »), des polémiques incessantes entretenues avec le
christianisme, et de l’importance que cette éthique religieuse joua dans la formation
d’Augustin. Le manichéisme est une religion aujourd’hui éteinte mais qui eut une diffusion considérable de l’Afrique du Nord jusqu’en Asie centrale et en Chine. Des communautés manichéennes ont survécu jusqu’au XIe siècle en Turquie et en Iran. Mani, le
fondateur de cette religion (216-277), était un Araméen de Babylonie, issu de milieux
judéo-chrétiens, et dont le projet était d’installer une religion universelle. Ce fut avant
tout un auteur prolixe. Il se dit messie, se compare et rivalise avec Zoroastre, Bouddha
et Jésus. Sa biographie invite à de constants rapprochements avec les paroles de Jésus,
considéré comme le dernier prophète. Le Christ est reconnu par les manichéens comme
libérateur et sauveur. Mais pour eux il n’est pas né de Marie et sa mort n’a été qu’une
apparence de mort. Mani écrit pour transmettre au monde « la bonne nouvelle » de sa
prophétie. Sa religion, contrairement aux caricatures que l’on s’est plu à en faire, est
d’une grande richesse et complexité, à l’entrecroisement de nombreuses croyances de
l’Orient ancien et de l’Asie. Historiquement, le manichéisme apparaît entre la naissance
et l’essor du christianisme et de l’islam. L’éthique manichéenne, que ridiculise Augustin, tenait à un code moral fondé sur la non-violence, l’abstinence et la pauvreté. On
sait à présent que ce code était d’une très haute valeur morale et qu’elle contribua à
adoucir les mœurs des peuplades de la Haute Asie. Les obligations canoniques des laïcs
manichéens évoquent irrésistiblement les cinq piliers de l’islam : commandements de la
foi, prière, aumône, jeûne et
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