Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
société humaine, qui douterait qu’on ne doive le faire puisque la société humaine juste c’est celle
qui est attentive à toi ?
Heureux ceux qui savent que c’est toi qui as commandé. Oui, tout ce
qui est fait par tes serviteurs l’est pour mettre en évidence les exigences
du présent ou pour préfigurer l’avenir.
18.
Et moi, ignorant tout cela, je me moquais de tes esclaves, saints et
prophètes.
Et que faisais-je en me moquant d’eux ? J’en arrivais à ce que tu te
moques de moi. Insensiblement, j’avais fini en effet par croire à des
farces. Je pensais qu’une figue quand on la cueillait pleurait des larmes
de lait, avec son arbre qui était sa mère. Mais que si un des saints manichéens mangeait cette figue (qu’un autre que lui bien sûr avait fait le
crime de cueillir), qu’il l’absorbait dans ses viscères, il en exhalerait desanges, ou mieux encore des particules divines, en gémissant et en rotant.
Ces particules du Dieu très haut et vrai seraient restées prisonnières du
fruit si la dent et le ventre de ce saint élu ne les en avaient délivrées !
J’ai fini par croire, pauvre de moi, qu’il fallait être plus compatissant
avec les fruits de la terre qu’avec les hommes pour qui ils naissent. Au
point que si un affamé qui n’était pas manichéen demandait un fruit, lui
en donner ne serait-ce qu’une petite bouchée méritait la peine capitale !
19.
Tu as tendu ta main d’en haut.
Tu m’as arraché des profondeurs obscures.
Pendant ce temps, ma mère, ta fidèle, t’adressait les pleurs qu’elle
versait sur moi, plus abondants que les pleurs des mères sur une
dépouille funèbre.
Sa foi et son inspiration qu’elle tenait de toi lui faisaient voir ma
mort.
Et tu l’as exaucée, Seigneur. Tu l’as exaucée. Tu ne t’es pas détourné
de ses larmes dont le flot ininterrompu arrosait la terre sous ses yeux
partout où elle priait. Tu l’as exaucée.
Autrement d’où serait sorti ce rêve dans lequel tu la consolais jusqu’à
ce qu’elle accepte de vivre avec moi et de partager avec moi la même
table chez nous ? Ce qu’elle avait d’abord refusé, horrifiée, révulsée par
mes erreurs blasphématoires.
Elle s’est vue debout sur une barre de bois. Un jeune homme resplendissant, hilare, vient vers elle et lui sourit alors qu’elle est triste,
accablée de tristesse. Il l’interroge sur les raisons de sa tristesse et de ses
larmes quotidiennes. Moins pour comprendre que pour lui faire comprendre quelque chose, comme cela arrive souvent dans les rêves. Elle
lui répond qu’elle se lamente sur ma perdition. Il lui ordonne alors de
se rassurer et l’invite à être plus attentive et à regarder : où elle était,
j’étais moi aussi.
Elle observe l’endroit où elle se trouve et me voit soudain près d’elle,
debout sur la même barre de bois.
Ça n’a été possible que parce que tu as ouvert tes oreilles à son cœur,
bonté toute-puissante qui prends soin de chacun de nous comme si tuprenais soin de lui seul, et de tous comme s’il s’agissait de chacun en
particulier.
20.
Et une chose encore. Elle me raconte son rêve et je risque l’interprétation suivante : c’était plutôt à elle de ne pas désespérer d’être à l’avenir
ce que j’étais. Non, répond-elle, immédiatement et sans aucune hésitation.
On ne m’a pas dit : où il est, tu es aussi. Mais bien : où tu es, il est lui aussi.
Je t’avoue, Seigneur, mon souvenir, comme il me revient. Je ne l’ai
jamais passé sous silence. Il y eut ta réponse, venue pour moi d’une
mère vigilante, le fait qu’une fausse interprétation si plausible ne l’ait
pas troublée et qu’elle ait vu si vite ce qu’il fallait voir – ce que moi je
n’avais pas vu, du moins avant sa réponse. Tout cela m’a impressionné,
plus que le rêve lui-même qui prédisait à cette femme dévouée la joie
qu’elle aurait plus tard et qui la consolait par avance de son inquiétude.
Il fallut en effet attendre neuf ans. Neuf ans que j’ai passés dans la
boue des bas-fonds et dans l’erreur la plus noire, malgré de fréquents
efforts pour me relever mais qui me fracassaient encore plus violemment. Je me suis roulé dans la boue. Et pendant ce temps, cette veuve
vertueuse, dévouée et sobre comme tu les aimes, que l’espoir ranimait
déjà, n’économisait pas pour autant ses pleurs et ses gémissements. À
chaque heure de ses prières, elle se lamentait sur moi auprès de
Weitere Kostenlose Bücher