Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
n’adressaient aucune prière à un esprit
quelconque dans leur divination. Et pourtant, la piété chrétienne, la
vraie, les rejette et les condamne avec raison.
Oui, c’est bien de t’avouer, Seigneur, et de dire :
prends pitié de moi
guéris mon âme
car je t’ai fait du tort
C’est bien de ne pas abuser de ton indulgence en commettant sans
frein des crimes mais de se souvenir au contraire de la parole du Seigneur :
Te voilà rétabli, ne te fourvoie plus, de peur qu’il ne t’arrive pire.
Et les autres s’efforcent d’anéantir cette parole du salut total en
disant : du ciel vient inévitablement la raison de ta faute. Ou encore :
C’est Vénus qui est responsable, ou Saturne ou Mars. Bien entendu, il
s’agit de disculper l’homme, chair et sang, insolente pourriture, et
d’inculper le créateur et l’ordonnateur du ciel et des astres.
Mais qui, sinon toi notre Dieu, douceur et source de justice, rendra
à chacun selon ses actes sans jamais exclure un cœur obscur et broyé ?
5.
Il y avait à cette époque un homme clairvoyant, médecin chevronné,
très réputé. C’est lui, en tant que proconsul qui, lors de ce fameux
concours de chant, a de sa propre main posé la couronne sur ma tête
malade ; mais pas en sa qualité de médecin car de la maladie dont je
souffrais, le seul guérisseur c’est toi, qui résistes aux puissants et qui
offres la reconnaissance aux obscurs. Tu aurais donc renoncé à m’aider
et à soigner mon âme, même par l’intermédiaire de ce vieillard… J’étais
en effet devenu assez proche de lui, captivé par sa conversation attachante, sans mots savants, et d’une vivacité de pensée qui la rendait
agréable et convaincante. Dès qu’il apprit de ma bouche que je m’adonnais à la lecture des horoscopes, il m’engagea, avec une paternelle bienveillance, à les rejeter. Je ne devais pas gaspiller en pure perte mon travail à ces vanités ni les efforts nécessaires à des choses bien plus utiles.
Il avait lui-même, disait-il, tellement étudié ces sujets qu’il avait voulu,
dans les premières années de sa jeunesse, en faire sa profession pour la
vie. S’il avait compris Hippocrate, il n’aurait pas de mal à comprendre
ces écrits. Et pourtant, il y a renoncé immédiatement pour se consacrer
à la médecine. Une seule raison à cela : il avait découvert leur complète
fausseté et ne voulait pas qu’un homme sérieux comme lui gagne sa vie
en abusant les gens.
Et toi, disait-il, pour subvenir à tes besoins dans ce monde, tu as déjà
la rhétorique, et si tu poursuis cette supercherie c’est par libre goût et
non par nécessité. Raison de plus pour me faire confiance sur cette
question, car je l’ai étudiée à fond, suffisamment en tout cas pour imaginer en faire mon seul gagne-pain.
Mais comment se fait-il alors, lui ai-je demandé, que beaucoup de ces
prédictions se vérifient ? Il m’a répondu, du mieux qu’il pouvait. C’était
dû à l’importance du hasard, répandu partout dans la nature. En effet,
quelques pages de n’importe quel poète consultées au hasard – et dont
l’intention poétique était tout autre –, et on tombe sur un vers en consonance merveilleuse avec telle ou telle de nos préoccupations. Il ne fautpas s’étonner alors, disait-il, si l’âme humaine par un quelconque instinct supérieur, inconsciente de ce qui se passe en elle, fait entendre par
l’effet, non de l’art mais du hasard, une réponse en accord avec la situation ou les actions de qui l’interroge.
6.
Oui, voilà ce que tu as pris soin de me donner, de lui ou plutôt par
lui, précisément ce que je chercherais plus tard moi-même et dont tu as
tracé l’esquisse dans ma mémoire.
Mais alors ni lui-même ni mon très cher Nébridius, excellent jeune
homme, irréprochable, qui se moquait de toutes ces pratiques divinatoires, n’ont pu me persuader d’y renoncer. L’autorité de ces auteurs
m’impressionnait davantage, et je n’avais pas découvert encore la
preuve irréfutable que je cherchais, qui me ferait voir sans ambiguïté
que lorsqu’ils disaient vrai dans leurs consultations, c’était un fait du
hasard ou du sort et non l’art de scruter les astres.
7.
Durant ces années-là, au début de mon enseignement dans la municipalité où je suis né, je m’étais fait un ami. Notre ardente compagnie
me l’avait rendu infiniment cher. Nous avions le même âge, et nous partagions les fleurs de
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