Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
l’adolescence.
Enfant, il avait grandi avec moi, nous étions allés ensemble à l’école
et nous avions joué ensemble. Mais il n’était pas encore un ami, et ne le
serait pas davantage plus tard, au sens d’une véritable amitié. Car il n’y
a de véritable amitié que si tu la soudes entre deux êtres déjà liés entre
eux, de ce pur amour que le Souffle saint qui nous a été donné diffuse
dans nos cœurs.
Notre amitié était plus douce que de raison, mûrie par la ferveur de
passions communes. Je l’avais même détournée de la vraie foi, à laquelle
l’adolescence ne tient pas profondément ni sincèrement, vers les dangers des superstitions et des fables – ce qui faisait pleurer ma mère.
Avec moi ce jeune homme perdait l’esprit. Et sans lui mon esprit était
perdu.
C’est alors que toi, qui es pendu au dos de tes fugitifs, Dieu des vengeances et en même temps source d’amour, qui nous retournes vers toi
par des moyens extraordinaires, tu as soustrait ce jeune homme de cettevie. Son amitié pour moi n’avait pas plus d’un an, amitié d’une douceur,
me semblait-il, supérieure à toutes les douceurs de ma vie jusque-là.
8.
Qui peut énumérer à lui tout seul tes louanges sur sa seule expérience ?
Qu’as-tu fait alors mon Dieu ?
Oh. Abîme inexplorable de tes jugements.
Tourmenté par des fièvres, mon ami gisait depuis longtemps sans
connaissance dans une sueur létale. Il était dans un état désespéré, on
l’a baptisé inconscient. Je ne me suis pas fait de souci sur le moment. Je
pensais que son âme retiendrait tout ce qu’il avait reçu de moi plutôt
que ce qu’on faisait subir à son corps inconscient.
Mais les choses ne se sont pas passées comme ça.
Il est revenu brusquement à la vie et a retrouvé la santé.
Aussitôt, dès que j’ai pu parler avec lui, ce que j’ai pu faire assez vite,
et dès que lui-même en a été capable, puisque je ne me séparais jamais
de lui et que nous étions éperdument pendus l’un à l’autre, j’ai voulu
me moquer avec lui, pensant que ce serait réciproque, du baptême qu’il
avait reçu totalement inconscient et insensible. On lui avait déjà appris
qu’il l’avait reçu. Mais alors je lui ai fait horreur, comme un ennemi. Il
m’a prévenu, avec une franchise extraordinaire et inattendue, que si je
voulais être son ami, je devais arrêter de lui parler ainsi.
Stupéfait et troublé, j’ai remis à plus tard l’expression de mes pensées. Il devait d’abord reprendre des forces et être suffisamment en
forme pour que je puisse faire avec lui ce que je voulais. Mais il fut arraché à ma démence pour veiller près de toi à ma consolation.
Quelques jours plus tard, en mon absence, il est repris par les fièvres
et meurt.
9.
Cette douleur a noirci mon cœur.
Dans tous mes regards, il y avait la mort. La patrie était mon supplice
et la maison paternelle un étrange malheur. Tout ce que j’avais eu en
commun avec lui se retournait sans lui en torture monstrueuse. Mes
yeux le réclamaient partout et on ne me le donnait pas. Je haïssais toutparce que tout était privé de lui et que rien autour de moi ne pouvait
plus me dire : le voici, il arrive, comme de son vivant quand il était
absent.
J’étais pour moi-même une grande question et j’interrogeais mon
âme, pourquoi sa tristesse, pourquoi tant d’effroi. Elle ne savait rien me
répondre. Si je lui disais : espère en Dieu, très justement elle n’obéissait
pas parce que l’homme si cher qu’elle avait perdu était plus vrai et
meilleur que le fantasme en qui on lui donnait l’ordre d’espérer.
Seuls les pleurs m’étaient doux et avaient pris la place de mon ami
dans les plaisirs de mon cœur.
10.
Maintenant, Seigneur, c’est déjà loin. Avec le temps, ma blessure s’est
calmée.
Est-ce que je peux t’écouter, toi qui es vérité, et approcher de ta
bouche l’oreille de mon cœur pour que tu m’expliques pourquoi les
pleurs sont doux aux malheureux ? et pourquoi, alors que tu es là
partout, tu as rejeté loin de toi notre malheur, pourquoi tu persistes à
rester en toi quand nous sommes le jouet des malheurs ?
Pourtant, si nous ne pleurons pas à tes oreilles, il ne resterait plus
rien de notre espoir.
D’où vient que l’on arrache à l’amertume de la vie ce fruit savoureux : gémir, pleurer, soupirer et se plaindre ?
La douceur viendrait de l’espoir que nous avons de t’entendre ?
Comme dans le cas
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