Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
étaient jugés iniques par ceux qui
étaient mal informés, et qui jugeaient d’après le temps des hommes et
mesuraient les mœurs du genre humain universel à leurs propres
mœurs particulières. Un peu comme quelqu’un qui ne sachant rien
d’une armure, ni à quel membre correspond quelle pièce, voudrait se
couvrir la tête avec la jambière et se chausser avec le casque, et se plaindrait parce que ça n’allait pas parfaitement. Ou comme quelqu’un qui
se formaliserait de ne pas être autorisé à vendre un après-midi férié,sous prétexte que c’est autorisé le matin du même jour. Ou qui, dans
une même maison, en voyant un esclave manipuler une chose interdite
à l’échanson, ou quelque chose se faire derrière l’écurie qui serait interdite à table, s’indignerait que dans une même habitation, pour un même
personnel, il n’y ait pas partout et pour tous les mêmes attributions !
De la même façon, on s’indigne d’apprendre qu’en ce siècle une
chose permise aux justes ne l’était pas en un autre siècle, ou que Dieu
a prescrit une chose à ceux-là et une autre à ceux-ci, d’après les circonstances des époques, alors que les uns et les autres étaient au service de
la même justice. On devrait comprendre pourtant que pour un seul
homme, un seul jour et une seule maison, à chaque membre convient
une chose, et qu’une chose permise depuis longtemps, après l’heure ne
l’est plus. Et qu’une certaine chose qui en un lieu est permise voire
ordonnée, dans un autre, tout proche, est défendue et punie. Est-ce la
justice qui est inconstante et qui change ? Les temps dont elle a la garde
ne vont pas au même rythme, et ce ne sont que des temps, en effet. Or
les hommes dont la vie sur terre est brève n’ont pas la capacité intellectuelle de rassembler en un tout les circonstances des générations antérieures ou des autres peuples, dont ils n’ont pas l’expérience, à celles
dont ils ont l’expérience. Mais pour un même corps, un même jour, une
même maison, ils peuvent facilement voir ce qui convient à chaque
membre, à chaque moment, ou à chaque partie et à chaque personne.
Dans le premier cas, ils s’offusquent, dans l’autre ils se soumettent.
14.
À cette époque, moi je ne savais rien de ces choses, et je n’y faisais
pas attention. Je les avais partout sous les yeux et je ne voyais rien.
Pourtant dans l’art poétique, je ne devais pas placer n’importe quel
pied n’importe où, mais à tel ou tel mètre, et de telle ou telle façon. Et
dans un même vers, ce n’était pas le même pied partout. L’art lui-même
d’après lequel je déclamais n’avait pas différentes règles mais formait un
tout. Et je ne me rendais pas compte que la justice que servaient des
hommes bons et saints formait de ses instructions un ensemble supérieur et bien plus sublime, sans varier nulle part, mais en attribuant des
préceptes appropriés en fonction de la diversité des époques, et pastout en même temps. Aveugle, je critiquais les fidèles patriarches qui
avaient vécu à leur époque selon l’ordre et l’inspiration de Dieu, mais
qui avaient aussi préfiguré l’avenir selon la révélation de Dieu.
15.
Mais existe-t-il un jour ou un endroit où il soit injuste d’aimer Dieu
de tout son cœur et de toute son âme et de tout son esprit, et d’aimer
le prochain comme soi-même ?
Il est entendu que les crimes contre nature doivent être partout et
toujours exécrés et punis, comme ceux des Sodomites. Quand bien
même tous les peuples les commettraient, ils seraient quand même passibles de la même accusation devant la loi divine qui n’a pas fait les
hommes pour qu’ils fassent usage d’eux-mêmes ainsi. C’est surtout violer l’alliance même qui doit nous unir à Dieu que de polluer cette nature
dont il est l’auteur par la perversité de notre libido.
Et ce qui, au regard des mœurs de l’humanité, constitue un crime, il
faut l’éviter pour préserver la diversité des mœurs, de telle sorte que le
pacte mutuel d’une cité ou d’un peuple, confirmé par l’habitude ou la
loi, ne puisse jamais être violé par la libido d’un citoyen ou d’un étranger.
Laideur de toute partie qui ne s’accorde pas à son ensemble !
Oui, mais quand Dieu ordonne quelque chose contre une tradition
ou un pacte humain quelconque, même si cela ne s’est jamais fait là, il
faut le faire, et si c’était oublié, le restaurer, et si ce
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