Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
ruminait ton pain. J’étais
incapable d’en faire l’expérience ou d’y avoir accès. Mais lui n’avait accès
ni à mon agitation ni au danger vertigineux que je courais. Je ne pouvais
pas lui demander ce que je voulais comme je le voulais. Tenu à l’écart de
son oreille et de sa bouche par des foules de gens affairés. Et il se faisait
l’esclave de leurs faiblesses. Quand il n’était pas avec eux, de très courts
laps de temps, il reprenait des forces : les aliments indispensables à son
corps et la lecture indispensable à son esprit. Mais quand il lisait, il parcourait les pages des yeux et c’est son cœur qui interprétait. Sans parler,
sans bouger la langue. Souvent nous étions présents – l’entrée était libre
et la coutume voulait qu’on n’annonce pas les visiteurs. Nous l’observions lire en silence, toujours pareil. Qui aurait osé s’en prendre à quelqu’un d’aussi concentré ? Après un long moment assis là, nous le quittions en supposant que dans ce peu de temps qu’il trouvait pour réparer
ses forces intellectuelles, reposé de l’agitation des affaires d’autrui, il ne
voulait pas être davantage diverti. Il devait se méfier qu’un auditeur captivé et attentif, si un passage qu’il lisait se révélait plus obscur, n’ait besoin
qu’il le lui explique ou qu’il discute avec lui de questions difficiles, et le
temps passé à cette tâche le serait au détriment des volumes qu’il voulait
dérouler. Préserver sa voix qui s’enrouait facilement pouvait être aussi
une raison légitime de lire en silence. Mais peu importe ses intentions, un
homme comme lui ne pouvait qu’agir bien.
4.
Mais une chose est sûre : aucune opportunité ne m’était offerte de
consulter sur ce que je désirais, ton oracle si saint, son cœur, si ce n’est
pour de brèves audiences. Mon trouble aurait exigé de sa part, pour
que je me confie à lui, une grande disponibilité. Cela ne s’est pas passé.
Je l’écoutais pourtant chaque dimanche expliquer avec justesse au
peuple la parole de vérité, et il m’apparut de plus en plus qu’on pouvait
défaire les nœuds d’habiles calomnies que les ennemis qui nous trompaient avaient attachés aux livres divins. J’ai aussi découvert que
l’expression « l’homme fait par toi à ton image » ne signifiait pas pour
tes fils spirituels, que ta grâce a réengendrés de la mère catholique, penser et croire à une forme modelée sur le corps humain. Même si jen’avais pas le moindre petit soupçon, même énigmatique, d’une sub-stance spirituelle. Je fus honteusement soulagé d’avoir aboyé pendant
tant d’années non pas en réalité contre la foi catholique mais contre des
fictions charnelles forgées par l’entendement. Oui, j’ai été fou et infidèle : ce que j’aurais dû apprendre en cherchant, je l’ai revendiqué par
mes accusations. Toi, si haut, si proche, si secret, si présent, tu n’as pas
de membres grands ou petits. Tu es partout et nulle part quelque part.
Tu n’as pas de forme corporelle. Tu as pourtant fait l’homme à ton
image. Et lui, de la tête aux pieds, n’est qu’un espace fini.
5.
J’ignorais alors comment était possible cette image de toi. J’aurais dû
réclamer. Proposer qu’on m’explique comment y croire. Au lieu de
m’opposer par l’insulte à une croyance supposée. L’anxiété de savoir ce
qu’il fallait retenir de certain me rongeait de l’intérieur. Avec d’autant
plus d’âpreté que j’avais honte d’avoir été si longtemps berné et trompé
par des promesses de vaines certitudes, et d’avoir dans mes bla-bla puérils, faux et emportés, affirmé comme certitudes trop d’incertitudes.
Des erreurs qui ne me deviendraient claires que bien plus tard. En
accusant ton église catholique dans d’aveugles contradictions, il s’agissait bien d’incertitudes que je tenais pour certitudes. Je n’avais certes
pas encore découvert que l’église enseignait la vérité mais je découvrais
qu’elle n’enseignait pas ce dont je l’avais accusée violemment.
J’étais confus, retourné, heureux, mon Dieu. L’assemblée unique, corps
de ton fils unique, dans laquelle, enfant, on m’avait introduit au nom du
Christ, n’avait pas le goût des bêtises enfantines. Pour sa saine doctrine,
toi, le créateur de tout, tu n’étais pas confiné dans la forme des membres
humains, limitée de partout, dans un espace si haut, si vaste soit-il.
6.
J’étais
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