Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
profondeur. Proposant
des mots ouverts, un style simple qui parle à tous, elles retiennent aussi
l’attention des cœurs lourds. Elles accueillent tout le monde, elles sont
ouvertes à tous les peuples, et par d’étroites brèches un petit nombre
passe jusqu’à toi. Beaucoup plus toutefois que si le prestige de leur
autorité n’avait atteint un tel degré, et si elles n’avaient pas accueilli tant
de foules dans leur sainte simplicité.
Je pensais à tout ça et tu étais avec moi. Je soupirais et tu m’écoutais.
Je flottais et tu me guidais. J’empruntais la grande voie du monde et tu
ne m’abandonnais pas.
9.
Avide d’honneurs, de profits, d’accouplements, sous tes rires. Dans ma
cupidité, je souffrais les plus amères difficultés. Ta bienveillance était si
grande que tu ne me laissais pas m’attendrir sur ce que tu n’étais pas.
C’est mon cœur, Seigneur. Il a voulu que je me souvienne et me
confie à toi. Maintenant je suis lié à toi. Tu m’as délivré d’un terrible
engluement mortel. Malheur. Tu piquais ma blessure à vif. Pour que
j’abandonne tout et pour me convertir à toi, au-dessus de tout, sans qui
tout est néant. Me convertir et guérir.
J’étais si malheureux.
Un jour, tu m’as fait comprendre mon malheur. Je m’apprêtais à faire
l’éloge de l’empereur, à mentir énormément, à mentir pour recevoir la
considération des gens instruits. Mon cœur étouffait sous l’angoisse.
Dévoré de pensées fiévreuses et infectes. En traversant une rue de
Milan, je remarque alors un pauvre mendiant, complètement saoul, je
crois, gai et plaisantant. Je me plains, et évoque avec mes amis les nombreuses souffrances dues à nos folies, à tous nos désirs qui m’éreintent.
Sous l’excitation de la cupidité, je traîne aujourd’hui le fardeau de mon
malheur, et je l’alourdis en le traînant. Nous n’avons d’autre volonté
que d’atteindre un plaisir sans risque – ce que ce mendiant possède déjà
et que nous ne posséderons peut-être jamais. Quelques pièces mendiées, et il a ce que je cherche par des tours et des détours épuisants :
le plaisir d’un bonheur temporel. Pas une authentique joie, bien sûr.
Mais la joie que je cherchais par ambition était encore plus fausse. Le
mendiant était joyeux, j’étais anxieux. Il était insouciant, j’étais agité. Et
si l’on m’avait demandé si je préférais la joie ou la peur, j’aurais répondu
la joie. Mais si l’on m’avait encore interrogé pour savoir si je préférais
être comme moi ou comme lui, c’est moi, absorbé par les soucis et les
craintes, que j’aurais choisi de façon perverse. Ce n’était pas la vérité. Je
ne devais pas me préférer à lui parce que j’étais plus instruit. Je n’en
tirais aucune joie, je cherchais à plaire aux hommes non pour les instruire mais uniquement pour leur plaire. Et pour cette raison, tu me
cassais les os avec ton bâton de discipline.
10.
Arrière, loin de moi. Ils me disent : ce qui compte, c’est le plaisir. Or
le plaisir du mendiant, c’est boire. Et le tien, c’est la gloire.
Mais quelle gloire, Seigneur ? Pas celle qui est en toi. Le plaisir du
mendiant n’était pas vrai, et ma gloire non plus. Mais elle me pervertissait davantage encore. La nuit même, l’ivrogne aurait cuvé son vin, et
moi je dormirais et me réveillerais avec ma nausée. Regarde. Je dormirais et me réveillerais comme ça encore combien de jours…
Je sais bien, ce qui compte c’est le plaisir, mais la distance qu’il y a
entre le plaisir d’un espoir fidèle et la légèreté du mendiant est incomparable. Et entre nous aussi, il y avait une distance. Le plus heureux
c’était sûrement lui. Il trempait dans le bonheur. Moi l’anxiété me transperçait le ventre. Il avait eu son vin en souhaitant du bonheur à tout le
monde, et moi je poursuivais ma folle ambition dans le mensonge.
J’ai beaucoup entrepris mes proches à ce sujet. Souvent je me tournais vers moi pour savoir comment j’allais. Je comprenais que j’allais
mal. J’en souffrais et je redoublais mon mal. Si un bonheur passait,
m’en emparer m’écœurait. Et sur le point de l’atteindre, il s’envolait.
11.
Nous nous plaignions entre amis. Plus particulièrement, dans l’intimité, j’en parlais avec Alypus et Nébridius. Alypus était originaire de
la même ville que moi. Ses parents étaient des citoyens hauts placés.
Plus jeune que moi, il avait même été mon
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