Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
étudiant, à mes débuts dans
notre ville, et plus tard à Carthage. Il m’aimait beaucoup. Il me semblait apprécier ma bonté et mon instruction. Moi je l’aimais pour ses
grandes qualités naturelles, remarquables pour son jeune âge. Mais le
tourbillon de la vie à Carthage, l’effervescence des spectacles de
débauches, l’avaient englouti dans la passion des jeux du cirque. Il s’y
vautrait de façon pathétique, quand j’étais déjà professeur de rhétorique dans une école publique, et n’assistait pas à mes cours parce
qu’un différend avait surgi entre son père et moi. J’avais découvert sa
passion funeste pour les jeux du cirque. Et je m’angoissais terriblement
à l’idée qu’il allait ruiner ou qu’il avait déjà ruiné son avenir. Mais la
bienveillance de l’ami ou l’autorité du professeur n’étaient d’aucun
secours pour le mettre en garde ou le punir. Je pensais qu’il partageait
avec son père les mêmes sentiments à mon égard. Or ce n’était pas le
cas. Délaissant sur ce point la volonté paternelle, il avait commencé à
me saluer, à venir à mes cours, m’écouter quelques instants avant de
disparaître.
12.
Il m’était sorti de l’esprit que je devais l’empêcher de détruire de si
bonnes dispositions par une passion aveugle et violente pour des jeux
sans intérêt. Mais toi, Seigneur, qui gouvernes tout ce que tu as créé, tu
n’avais pas oublié qu’il devait être parmi tes fils le champion de tes mystères. On devait t’attribuer ouvertement sa correction. Tu as agi à travers moi, sans doute, mais sans que je le sache.
Un jour, j’avais pris ma place habituelle parmi mes étudiants, il est
entré, il a salué avant de s’asseoir. Il s’est intéressé à ce que nous étions
en train de faire. J’avais par hasard un texte en mains. Au cours de mon
explication, j’ai cru bon faire appel à une comparaison avec les jeux du
cirque. Pour faire passer la chose de façon plus claire et plus drôle, par
une caricature mordante de ceux qui sont prisonniers de cette folie. Tu
sais, toi notre Dieu, qu’à ce moment précis je ne pensais pas guérir Alypius 2 de cette peste. Mais lui a saisi l’occasion et a cru que j’avais dit
cela uniquement à cause de lui. Un autre se serait irrité contre moi.
Lui, adolescent honnête, reçut cela pour s’irriter contre lui-même et
m’aimer avec plus d’ardeur encore. Autrefois, tu avais déjà dit toi-même, et cela fait partie de tes écritures : corrige le sage et il t’aimera.
Moi je ne l’avais pas corrigé, mais toi qui te sers de tous, qu’ils le savent
ou non, selon ta logique, et cette logique est juste, tu as fait de mon
cœur et de ma langue des charbons ardents pour brûler l’abcès d’une
intelligence prometteuse et l’en guérir.
Qu’il taise tes louanges celui qui ne veut pas de ta compassion. Elles
témoignent de toi jusque dans la mœlle de mes os.
Sur ces paroles, Alypius se précipita hors de la fosse si profonde où
il s’était plongé avec plaisir en s’aveuglant avec une étonnante volupté.
Par ses efforts, il redevint maître de lui-même et se débarrassa de toutes
les ordures du cirque. Il n’y retourna plus. Enfin, il triompha des résistances de son père pour que je devienne son professeur. Son père finitpar céder. Alypius a pu reprendre mes cours et ma superstition l’enveloppa. Il aimait chez les Manichéens cette abstinence ostentatoire qu’il
croyait vraiment authentique. Une extravagante séduction qui captait
les âmes de valeur mais qui ne savaient pas encore atteindre les sommets de vertu et se laissaient prendre facilement par la surface des
choses, ou l’ombre d’un semblant de vertu.
13.
Fidèle à ses parents, il n’avait pas encore renoncé aux charmes du
chemin sur cette terre. Il m’avait même précédé à Rome pour y
apprendre le droit. Mais il fut littéralement emporté de façon
incroyable par sa non moins incroyable passion pour les spectacles de
gladiateurs, qu’il haïssait pourtant.
De retour d’un déjeuner, des amis et condisciples tombent sur lui par
hasard. Malgré son refus véhément et sa résistance, ils le forcent amicalement à les suivre dans l’amphithéâtre. C’était l’époque des jeux cruels
et mortels. Il leur dit : vous pouvez y traîner mon corps, me forcer à être
là, mais vous ne pourrez pas forcer mon esprit et mes yeux à participer.
Je serai présent et absent. Je serai plus fort que les
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