Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
contraire,
tu as préféré les faibles du monde pour faire honte aux puissants, et
préféré les obscurs de ce monde, ceux qu’on méprise, qui ne sont rien
comme s’ils étaient quelque chose, pour vider de leur être ceux qui sont
quelque chose. Mais, le même, le plus petit de tes envoyés, dont la
langue a prononcé tes paroles, a su désarmer l’arrogance du proconsul
Paulus, en le soumettant à la délicatesse de ton christ, en le faisant
entrer dans la province du grand roi. Et en signe d’une si grande victoire, il a lui-même voulu changer son nom de Saül en Paul 5 . L’ennemi
est d’autant plus défait que ses possessions sont nombreuses et qu’il
s’en sert pour assujettir plus de gens. La notoriété fascine les arrogants,
et leur autorité fascine encore plus de gens. Ainsi, plus on pensait avec
plaisir au cœur de Victorinus, que le diable avait occupé comme un
réceptacle inexpugnable, et à la langue de Victorinus, une arme puissante et acérée qui en avait tué beaucoup, plus tes fils débordaient de
joie. Notre roi avait enchaîné le fort. Et les vases volés à ce roi devenaient purs, dignes de t’honorer, utiles au Seigneur pour tout bon travail.
10.
Dès que j’ai entendu le récit de Simplicianus à propos de Victorinus,
j’ai immédiatement voulu l’imiter. Il m’avait fait ce récit dans ce seul
but. Il a ajouté aussi qu’à l’époque de l’empereur Julien, une loi vint
interdire aux chrétiens d’enseigner la littérature et l’éloquence. Victorinus s’était soumis à cette loi et avait préféré abandonner les discours et
l’école plutôt que ta parole qui délie la langue des tout petits. Selonmoi, il avait eu plus de chance que de courage puisqu’il avait eu ainsi
l’opportunité de se donner à toi.
C’était également mon désir. Mais j’étais captif de ma propre volonté.
Sous la dépendance de l’ennemi qui m’étranglait avec les enchaînements de ma volonté. Oui, la perversion de la volonté crée la libido.
L’esclavage de la libido crée l’habitude. Et céder à l’habitude crée le
besoin. Chaque anneau est lié aux autres (d’où vient que j’ai appelé cela
un enchaînement), ce qui faisait de moi un esclave enchaîné.
Une volonté neuve venait pourtant de se manifester en moi – t’aimer
gratuitement et jouir de toi, Dieu unique délice – mais elle n’était pas
encore en état de surmonter ma volonté antérieure, forte de son ancienneté. Mes deux volontés, l’ancienne et la nouvelle, la chair et le souffle,
se disputaient, et leur combat me disloquait.
11.
Ma propre expérience me faisait comprendre ce que j’avais lu : la
chair s’oppose au souffle et le souffle à la chair. Mon moi était dans les
deux. Mais il y avait plus de moi dans ce qui était en accord avec moi
que dans ce qui était en désaccord. Et dans ce cas, ce n’était déjà plus
moi : j’étais davantage victime malgré moi qu’acteur volontaire. Mais
l’habitude gagnait du terrain contre moi, et j’en étais le responsable
puisque j’avais voulu en arriver là où je n’aurais pas voulu. Et de quel
droit protester si un juste châtiment est la conséquence de nos erreurs ?
Je n’avais même plus l’excuse d’autrefois de ne pouvoir renoncer au
monde pour te servir parce que la vérité m’était incertaine. Maintenant,
c’était une certitude. Mais j’étais toujours attaché à la terre et je refusais
ton armée. J’avais autant peur de larguer tous les bagages encombrants
que d’en être encombré.
12.
Le doux poids du monde m’accablait, comme cela nous arrive souvent dans le sommeil. Je pensais à toi, je rêvais de toi comme quelqu’un
qui se débat dans son sommeil en voulant se réveiller, sans pouvoir
émerger, et qui replonge dans les profondeurs de l’endormissement.
Personne ne veut dormir toujours. Tout homme sensé préfère l’état de
veille. Mais d’ordinaire, il tarde à s’arracher du sommeil quand la torpeur alourdit ses membres, et malgré le désagrément il y prend plus de
plaisir encore, même si le réveil a sonné. Comme moi, certain qu’il
valait mieux me donner à ton amour que de céder à ma concupiscence.
Mais le premier me plaisait et me dominait, et l’autre m’attirait et
m’enchaînait. Je n’avais rien à te répondre quand tu demandais : tu
dors ? Lève-toi. Relève-toi des morts. Christ t’illuminera. Tu affichais
partout que tu disais vrai et je n’avais rien du tout à
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