Les Bandits
jour en compagnie de Don José Avalos, fermier
et ancien sergent de la police rurale à Pampa Grande, dans la province du Chaco,
en Argentine. En 1981, à la suite d’une conférence sur les bandits et les
hors-la-loi en Sicile, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de deux
anciens membres de la bande de Salvatore Giuliano, et de personnes qui avaient
été directement au fait de ses activités. Mais j’ai une dette plus grande
encore envers des amis et des collègues en Colombie, en Italie et au Mexique, qui
jouissent d’une expérience bien plus considérable en matière de contacts
directs avec le monde des bandits armés. Je suis particulièrement reconnaissant
à Pino Arlacchi et, pour ce qui est de la Colombie, à Carlos Miguel Ortiz, Eduardo
Pizarro ainsi qu’à Rocío Londoño et ses amis, dont certains sont décédés. Ma
dette vis-à-vis des travaux de Gonzalo Sanchez et Donny Meertens devrait être
manifeste tout au long de ce texte.
E. J. HOBSBAWM
Londres,
juin 1999
PORTRAIT D’UN BANDIT
La carrière d’un bandit social constitue la meilleure façon
d’entrer dans le sujet compliqué du « banditisme social », qui forme
la matière de ce livre. En voici un exemple, compilé par un étudiant anonyme de
l’université d’Addis-Abeba, en Éthiopie, dont le mémoire m’a été confié par son
professeur. Si l’on a cru bon de ne pas me communiquer le nom de son auteur
lorsque je me suis vu remettre ce travail basé sur des informateurs locaux et
des périodiques en anglais ou en tigrigna, c’est pour des raisons liées à la
situation politique incertaine qui régnait à l’époque en Éthiopie et en
Érythrée. Si ce dernier devait à tout hasard lire cette édition, et s’il désire
se faire connaître, je serais plus qu’heureux de reconnaître ma dette à son
égard.
Voici donc, livrée de façon plutôt sommaire, l’histoire de
Weldegabriel, le plus âgé des frères Mesazgi (1902/1903-1964). Laissons les
faits parler pour eux-mêmes :
« À l’époque où l’Érythrée
était une colonie italienne, le père de Weldegabriel, un paysan du village de
Beraquit dans la province de Mereta Sebene, fut jeté en prison pour s’être
élevé, en tant que représentant du village, contre la nomination d’un nouveau
gouverneur provincial qui n’était pas natif de la région. Il mourut en
captivité. La veuve accusa l’impopulaire gouverneur, et appela à une vengeance
de sang, mais ses fils étaient trop jeunes, l’opinion locale était divisée au
sujet de la culpabilité du gouverneur, et de toute façon les Italiens avaient
interdit les vendettas. Ses quatre fils grandirent et devinrent de pacifiques
fermiers. Weldegabriel s’enrôla dans les troupes coloniales en tant qu’askari, servit
sous les couleurs italiennes en Libye durant la guerre italo-éthiopienne de
1935-1936 avec deux de ses frères, et participa à l’occupation de l’Éthiopie (1936-1941).
Après la victoire des Britanniques, ils retournèrent à leurs activités d’éleveurs
forts de quelques économies, de rudiments d’italien, et d’une bonne
connaissance des armes et des compétences militaires. Bon soldat, Weldegabriel
avait été promu au rang d’officier de réserve.
L’ordre colonial italien s’était
effondré et les Britanniques administraient provisoirement le territoire. Les
conditions tumultueuses de l’après-guerre favorisaient le développement du
banditisme, les vastes cohortes d’askaris démobilisés constituant un réservoir
naturel de recrues potentielles. Le travail était rare, et les Érythréens
continuaient à souffrir de discriminations vis-à-vis des Italiens. Quant aux
immigrants éthiopiens, ils avaient moins de chance encore. En compétition pour
la terre et le bétail, les groupes ethniques se livraient à des razzias sur les
hauts plateaux et, dans la mesure où l’administration italienne ne faisait plus
obstacle à l’accomplissement de ce devoir sacré, les dettes de sang firent à
nouveau leur apparition. Dans de telles conditions, le banditisme semblait
aussi ouvrir des perspectives de carrière raisonnables, du moins pour un temps.
Les frères Mesazgi firent leurs débuts en la matière par le biais de leur
vendetta restée en suspens, bien que ce soient les difficultés de la vie civile
qui aient pu les encourager à déterrer cette vieille querelle.
Par ailleurs, le gouverneur
provincial en place était le fils de celui qui pouvait être tenu
Weitere Kostenlose Bücher