Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
bataille allemands sur le front de l’Est ». Il ignorait que John Cairncross en avait fait parvenir certaines en douce. Muggeridge dit à Rothschild que la « prudence vis-à-vis des documents de Bletchley était légitime car les Russes avaient transmis aux Allemands tout ce qu’ils savaient à propos des Britanniques dans le cadre du pacte germano-soviétique ». À ce stade, Philby déclara, outré, que tout serait fait pour soutenir l’Armée rouge, même si cela devait compromettre les documents de Bletchley.
Comme le souligne Sinclair, ni Kim Philby ni Guy Burgess n’avaient accès à la documentation de Bletchley. Néanmoins, le simple fait qu’une telle conversation ait pu avoir lieu illustre à merveille la chance que le secret de Bletchley n’ait jamais été éventé.
Pour des raisons encore inconnues, John Cairncross ne fut jamais poursuivi en justice. Il est parti vivre à l’étranger et est entré à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. À ce jour, certains pensent qu’il a été protégé, qu’il s’agissait du « cinquième homme », aux côtés de Burgess, Philby, MacLean et Blunt, qui avaient trahi en révélant tout le système de renseignement britannique à l’Union soviétique. Il semble également inconcevable qu’un homme avec des convictions qu’il exprimait ouvertement ait pu franchir les étapes de l’enquête approfondie pour travailler dans une institution telle que Bletchley Park (à moins que les autorités aient eu leurs raisons de l’affecter là).
Mais, en règle générale, de quelle enquête s’agissait-il ? Certains anciens savaient bien sûr qu’avant de travailler au Park la direction avait mené une enquête discrète sur leur personnalité et leurs habitudes. Il ne faisait aucun doute que leur vie avait été consciencieusement épluchée.
À ce jour, Sheila Lawn n’est pas vraiment certaine de connaître le processus qui l’a conduite au Park. « J’y suis entrée parce qu’il y avait beaucoup de monde issu des universités écossaises, dit-elle. Et je suppose que le fait que j’aie renoncé à devenir enseignante pour venir ici les a incités à penser, “Eh bien, elle est assez enthousiaste pour pouvoir se charger de ce travail”. Je ne sais pas. »
Voilà qui pousse son mari Oliver à rappeler : « Quand Sheila est arrivée avec ce groupe d’universitaires écossais, la petite amie que j’avais au Park avant elle venait aussi de là. Ils étaient nombreux dans ce cas et ça recrutait très sérieusement. »
Mme Lawn se souvient d’un jour particulier à l’université avant de recevoir sa convocation pour Bletchley :
À ma grande surprise, le principal et sa femme m’ont invitée à prendre le thé un dimanche après-midi. Parmi les personnes présentes figuraient de nombreux anciens étudiants. J’ai passé un moment très agréable à discuter avec des gens. Mais c’était très bizarre car je ne savais pas que des personnes de mon cours de français-allemand, situées dans la même tranche d’âge que moi, étaient invitées.
Je me suis dit, « Quel est le but de ce thé ? Est-ce qu’ils procèdent au hasard pour dire : Nous allons prendre celui-ci, nous allons prendre celle-là ? » Je n’ai pas eu l’impression d’être enrôlée.
Comme l’a mentionné Sarah Baring, certaines filles faisaient l’objet d’une enquête approfondie pour vérifier qu’elles n’étaient pas folles amoureuses d’Hitler. Et concernant les cryptanalystes ? C’était le parcours universitaire qui importait. En outre, vu la jeunesse de la première vague de cryptanalystes et linguistes, la vérification d’usage suffisait. Dans la Grande-Bretagne d’avant-guerre, les activités séditieuses d’un jeune de 18 ou 19 ans étaient limitées à quelque société secrète d’étudiants.
Un peu plus tard au cours de la guerre, le même James Klugman qui avait apparemment rallié Cairncross à la cause soviétique fut également impliqué dans une autre atteinte à la sécurité nationale concernant Bletchley. La Yougoslavie était concernée, avec le besoin apparent de s’assurer que Churchill soutiendrait bien le chef des partisans Josef Tito et le leader royaliste Mihailovic.
Certains soupçonnaient Klugman d’avoir secrètement influencé la décision du gouvernement de soutenir les partisans, même si Tito et ses camarades étaient des sympathisants communistes et que
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